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même effet ? — Il y a deux choses que l’on est porté à confondre : la grandeur relative et la grandeur absolue, la dimension et la proportion. Telle statue de cinquante pieds est d’une dimension gigantesque, et ses proportions sont mesquines ; tel bronze antique est d’une proportion grandiose, et n’a pas un pied de haut. Je fais appel aux souvenirs de ceux qui ont vu le Saint Charles Borromée ou la Bavaria de Munich : qu’ils leur comparent, toujours par le souvenir, le Thésée du Parthénon ou la Vénus de Milo. Lesquels apparaissent vraiment grands, d’une grandeur absolue et sans limites ? La Vierge de Saint-Sixte écrase les plus vastes compositions de l’école bolonaise ; un temple grec, qui n’a point l’immensité d’une cathédrale gothique, ne me paraît point pour cela moins imposant. L’énormité n’est qu’une fausse grandeur qui frappe d’étonnement plutôt que d’admiration. Les peuples de l’Orient, en créant des êtres fantastiques, ont échappé aux règles de la raison : il était juste que dans les monstres tout fût surnaturel, jusqu’aux dimensions ; mais quand les Grecs firent leurs dieux à l’imitation de l’homme, le genre colossal présentait des dangers sur lesquels les maîtres n’ont pu se faire illusion. Ils n’en obéissaient pas moins au vote populaire ou aux croyances religieuses : dès le temps d’Homère, on considérait la grandeur matérielle comme l’enveloppe nécessaire de la grandeur morale, de même que plus tard la beauté du corps parut le reflet de la beauté de l’âme. Pour moi, je suis resté mal converti au charme des colosses, et les groupes de la place du Quirinal me sembleraient encore plus beaux, s’ils étaient moins énormes. Les récits de Gulliver dans le pays des géans ne peuvent manquer de suggérer sur ce sujet des réflexions pleines d’à-propos. L’art gagne à exagérer d’une manière idéale les dimensions humaines, mais il rencontre une limite qu’il ne franchit point impunément : cette limite, je la crois tracée moins encore par les exigences de nos sens que par une loi dont le secret remonte à la création. Évidemment, lorsqu’une statue ne doit être vue que de loin, comme la Minerve de Phidias au fond du Parthénon, la perspective conseille de grossir les objets, tandis que leur image décroît. Tel n’était pas le cas de M. Simart ; il a donc eu raison de choisir cette heureuse mesure, qui dépasse la vérité sans dépasser la vraisemblance. Une figure de sept ou huit pieds pouvait revêtir une grandeur incomparable par le prestige des proportions. Il est regrettable que M. Simart n’ait point su obtenir ce prestige ?

Après les proportions vient le style, qui est le sceau des œuvres auxquelles est promise l’immortalité. Le style, c’est l’artiste tout entier. On imite le style de Phidias comme on imite le style de Corneille ou de Bossuet : c’est dire qu’on ne l’imite point, mais on en approche. Un esprit nourri par la contemplation des sculptures