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Chacun sait que les vaches peuvent acquérir un très remarquable embonpoint. Qui ne se souvient qu’à une époque très reculée sept vaches grasses ont présenté l’emblème d’autant d’années d’abondance, et que par opposition sept vaches maigres devinrent alors l’emblème des années de disette ? Il faut convenir que, jusque dans ces derniers temps et plus particulièrement aux environs de Paris, le nombre des vaches maigres ou mal engraissées l’emportait sur celui des vaches grasses ou même en bon état. Souvent aussi dans les étables il se trouvait des vaches dites taurelières dont on ne pouvait calmer ni dompter les fureurs, et que dès-lors on était contraint d’abattre. De pareils animaux ne pouvaient offrir que des muscles amaigris, des tissus coriaces et peu sapides. Hâtons-nous de le dire, l’affection désordonnée dont nous parlons n’est plus guère à craindre aujourd’hui. À cet égard, les choses ont bien changé depuis que l’on peut appliquer aux vaches taurelières une méthode opératoire nouvelle inventée par un savant vétérinaire dévoué aux intérêts de la science et de l’agriculture[1].

Outre l’affection aujourd’hui si victorieusement combattue, il est une autre cause qui peut nuire à la bonne qualité de la viande de vache. Dans les localités voisines des grandes villes, les importans débouchés offerts au produit principal, c’est-à-dire au lait, engageaient les nourrisseurs à obtenir le plus fort rendement sous ce rapport à l’aide de nourritures abondantes, très aqueuses, tièdes et débilitantes. Sous l’influence de cette sorte de lactation forcée, la plupart des animaux succombaient phtisiques ; ceux mêmes qui momentanément semblaient acquérir en perdant leur lait un certain embonpoint n’offraient à l’abattage que des chairs molles, décolorées, boursouflées plutôt que bien nourries. De là sans doute l’infériorité très grande et bien réelle de la viande de ces vaches, généralement abattues en mauvais état ; de là le peu de faveur dont la viande de vache en général jouit dans certaines villes. Aussi n’est-ce pas vers les grands centres de population comme Paris que l’on dirige

  1. Ce vétérinaire est M. Charlier, qui parvient en effet, sans pratiquer aucune incision externe, à exciser et enlever l’ovaire des femelles atteintes de la maladie en question. Cette opération trouble à peine momentanément les fonctions nutritives de l’animal, qui bientôt devient susceptible d’un engraissement régulier et profitable. Cessant dès-lors de nuire aux autres, il peut fournir, pour son propre compte, une chair salubre et savoureuse. Cette méthode ingénieuse, qui a valu à M. Charlier de hautes récompenses et dernièrement la grande médaille d’or décernée par la Société impériale et centrale d’agriculture, présente de telles chances de succès, que l’inventeur, entraîné par son zèle extrême et confiant dans son adresse peu commune, demande à traiter ainsi même les plus douces vaches laitières, car il a reconnu, par des expériences nombreuses, qu’il leur procure de cette façon une tranquillité plus grande, un calme complet, favorable à la durée d’une lactation abondante et régulière, plus favorable encore à l’engraissement rapide.