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perchant sur les arbres. Ici c’est le vent de la nuit qui tourne autour d’une église, qui tâte en gémissant, de sa main invisible, les fenêtres et les portes, qui s’enfonce dans les crevasses, et qui, enfermé dans sa prison de pierre, hurle et se lamente pour en sortir. Quand il a rôdé dans les ailes, lorsqu’il s’est glissé autour des piliers, et qu’il a essayé le grand orgue sonore, il s’envole, va choquer le plafond et tente d’arracher les poutres, puis il s’abat désespéré sur le parvis et s’engouffre en murmurant sous les voûtes. Parfois il revient furtivement et se traîne en rampant le long des murs. Il semble lire en chuchotant les épitaphes des morts. Sur quelques-unes, il passe avec un bruit strident comme un éclat de rire ; sur d’autres, il crie et gémit comme s’il pleurait. — Jusqu’ici nous ne reconnaissons que l’imagination sombre d’un homme du Nord. Un peu plus loin, vous apercevez la religion passionnée d’un protestant révolutionnaire, lorsqu’il vous parle des sons funèbres que jette le vent attardé autour de l’autel, des accens sauvages avec lesquels il semble chanter les attentats que l’homme commet et les faux dieux que l’homme adore ; mais au bout d’un instant l’artiste reprend la parole : il vous conduit au clocher, et dans le cliquetis des mots qu’il entasse, il donne à vos nerfs la sensation de la tourmente aérienne. Le vent siffle et gambade dans les arcades, dans les dentelures, dans les clochetons grimaçans de la tour ; il se roule et s’entortille autour de l’escalier tremblant. Il fait pirouetter la girouette qui grince. Dickens a tout vu dans le vieux beffroi ; sa pensée est un miroir. Il n’y a pas un des détails les plus minutieux et les plus laids qui lui échappe. Il a compté les barres de fer rongées par la rouille, les feuilles de plomb ridées et recroquevillées qui craquent et se soulèvent étonnées sous le pied qui les foule, les nids d’oiseaux délabrés et empilés dans les recoins des madriers moisis, la poussière grise entassée, les araignées mouchetées, indolentes, engraissées par une longue sécurité, qui se balancent paresseusement aux vibrations des cloches, pendues par un fil, qui, sur une alarme soudaine, grimpent ainsi que des matelots après leurs cordages, ou se laissent glisser à terre, et jouent prestement de leurs vingt pattes agiles, comme pour sauver mie vie. Cette peinture fait illusion. Suspendu à cette hauteur, entre les nuages volans qui promènent leurs ombres sur la ville et les lumières affaiblies qu’on distingue à peine dans la vapeur, on éprouve une sorte de vertige, et l’on n’est pas loin de découvrir, comme Dickens, une pensée et une âme dans la voix métallique des cloches qui habitent ce château tremblant.

Il fait un roman sur elles. Ce n’est pas le premier. Dickens est un poète. Il se trouve aussi bien dans le monde imaginaire que dans le réel. Ici ce sont les cloches qui causent avec le pauvre vieux com-