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REVUE. — CHRONIQUE.

de science, les monumens de l’antiquité grecque et latine, les langues naïves du moyen âge et les viriles productions du génie moderne ? Lachmann était un de ces hommes privilégiés. Je le comparerais volontiers à ce savant humaniste, à ce docte interprète de Cicéron, qui s’est trouvé tout prêt pour l’étude approfondie du moyen âge, et qui, chargé de présider aux travaux des continuateurs de dom Rivet, éclaire en ce moment d’une lumière inattendue l’histoire littéraire de la France au XIIIe siècle. Passionné pour la poésie antique, Lachmann était initié aux idiomes germaniques du temps des Hohenstaufen aussi intimement que les littérateurs spéciaux dont la vie se consacre à cette seule étude, et s’il fallait apprécier les maîtres du XVIIIe siècle, s’il fallait rectifier leur texte, rassembler les écrits épars de Lessing par exemple, c’est encore à lui qu’on s’adressait.

Il restait pourtant, malgré Lachmann, plus d’une découverte à faire dans es papiers de Lessing. L’auteur de Nathan et de la Dramaturgie de Hambourg est un de ces esprits ahondans qui se répandent de mille côtés à la fois. Il a rempli son siècle, il a pris part à toutes les polémiques, il a paru sur tous les champs de bataille. Que de pages livrées au vent ! Que de témoignages de son infatigable apostolat dispersés dans des recueils inconnus ! Un littérateur persévérant et scrupuleux, M. de Maltzahn, qui a consacré une partie de sa vie à l’étude de Lessing, a eu le bonheur de recueillir ces fragmens, et c’est à lui que M. Goeschen a confié l’édition nouvelle qui vient compléter aujourd’hui le travail de Lachmann. Le Lessing de M. de Maltzahn aura douze volumes. Nous en avons déjà neuf sous les yeux, et nous pouvons apprécier les intéressantes découvertes du consciencieux érudit, comme aussi le soin et l’intelligence de l’éditeur qui est heureux d’attacher son nom à une telle œuvre. De mâles et ingénieuses poésies, insérées dans des recueils devenus extrêmement rares, tels que le Musicien critique de la Sprée (1749), le Nouveau journal de Hambourg (1767), etc., enrichissent le premier volume. Je trouve dans le second le théâtre posthume de Lessing, complètement publié d’après le manuscrit de Breslau. M. Danzel, dans sa biographie de Lessing publiée en 1850, avait déjà mis en lumière plusieurs fragmens précieux. M. de Maltzahn a profité de toutes ces indications et rassemblé tous ces trésors. Ce sont des ébauches, des scènes écrites de verve, quelquefois seulement un plan, un programme, un canevas rapide, ou, plus simplement encore, le titre d’une comédie ou d’un drame. Publié pour la première fois en 1784 par le frère du poète, M. Charles Lessing, le théâtre posthume de l’auteur d’Emilia Galotti avait été singulièrement augmenté et rectifié par les recherches de Lachmann. Il nous est restitué aujourd’hui, grâce à M. de Maltzahn, dans sa forme définitive. Ici c’est une curieuse étude dramatique, intitulée Alcibiade en Perse ; là, quelques scènes d’une comédie où l’auteur raille l’inoffensif travers du vieillard qui méprise le présent et n’a de goût que pour les choses du passé. Ces scènes sont écrites en français, dans un français, je l’avoue, assez gauche et souvent fort incorrect ; n’importe, ces révélations ont leur prix, quand elles viennent d’un homme tel que Lessing, et n’est-il pas curieux de voir cet esprit si allemand s’exercer au dialogue de Molière ? Plus loin, voici une imitation du Pseudolus de Plaute, ou de spirituelles ébauches d’après la comédie anglaise. Maintes critiques littéraires, insérées dans les recueils du temps, donnent aussi