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pile de matelas était prête à le recevoir avec Emina dans la pièce d’honneur. La porte close, les lumières éteintes, Ansha et le reste se casèrent au hasard, de ci, de là, et bientôt le sommeil ferma toutes ces paupières que des passions diverses tenaient trop souvent ouvertes.

Ce soir-là, Emina s’était endormie auprès d’Hamid, mais son sommeil n’était pas le doux sommeil du bonheur. Ce sommeil-là d’ailleurs, quoi qu’on en dise, est peut-être le moins paisible de tous. Des images confuses et effrayantes se succédaient dans ses rêves inquiets. Elle se voyait à cheval auprès d’Hamid dans une vaste plaine aride qui se confondait à l’horizon avec le ciel. Une grande femme qui avait les traits de la belle Ansha semblait sortir de terre et se placer entre les deux époux ; elle agitait un poignard, elle le levait sur le sein d’Emina, et celle-ci rassemblait toutes ses forces pour détourner le fer. Tout à coup un réveil plus terrible que ce rêve même interrompit la vision de la femme d’Hamid. Un poignard était bien devant les yeux d’Emina, seulement ce n’était pas la grande femme qui le tenait, et il ne menaçait pas sa poitrine ; mais à la faible clarté de la lune pénétrant dans la chambre à travers les croisées entr’ouvertes, la pauvre enfant aperçut deux hommes penchés sur Hamid, tandis qu’un troisième se tenait immobile près de la porte. Pousser un cri et se jeter entre le sein d’Hamid et le poignard qui allait le frapper, ce ne fut pour Emina que l’affaire d’un instant. Réveillé en sursaut, mais comprenant du premier coup son danger et résolu à se défendre, Hamid repoussa d’une main Emina, de l’autre il saisit un poignard qu’il portait toujours à sa ceinture ; puis, se dressant brusquement sur ses pieds et s’emparant de deux pistolets placés auprès de son oreiller, il en mit un entre ses dents et dirigea l’autre contre celui de ses assaillans qui le serrait de plus près. Emina, qu’Hamid avait placée derrière lui, n’était pas femme à se faire un rempart de celui qu’elle aimait. Elle se fût plutôt battue à ses côtés, et si elle ne l’osa pas, ce ne fut pas la crainte des couteaux ni des balles qui la retint, ce fut celle du blâme et peut-être du persiflage dont Hamid poursuivrait un jour ses hauts faits. Elle songea donc à un moyen de se rendre utile sans se rendre importune, et, se laissant glisser sans bruit sur le parquet, elle se traîna jusqu’à la croisée, la poussa doucement, monta sur le rebord, puis, sans même se redresser de peur d’être aperçue, elle s’élança dans la cour. De là elle courut réveiller les domestiques du bey, leur apprit la situation désespérée de leur maître, et les conjura de courir à son secours sans perdre un instant. Ceux-ci n’hésitèrent pas, et, ramassant leurs armes éparses sur le plancher, ils se dirigèrent par la petite porte dans la cour du harem. De là, pénétrant par