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NOUVEAU TRACÉ POUR LE CANAL DE SUEZ.

Cependant la question du tracé n’est-elle pas déjà vidée ? le tracé direct n’a-t-il pas gain de cause puisqu’il est imposé par le pacha d’Égypte ? Voilà ce que nous entendons dire, et ce que la vérité des situations ne nous paraît pas entièrement admettre. Nul ne peut avoir la prétention d’être l’unique arbitre d’une chose universelle. Il appartenait au prince dont l’initiative généreuse accepte une expérience de l’Occident sur son territoire de déclarer comment il entend que l’expérience ait lieu, c’est son droit ; mais si son territoire est à lui, le canal est à l’usage de tous ; c’est la voie de la civilisation, c’est la voie du commerce européen, et il appartient à l’Europe de déclarer comment il lui plaît que ce canal se fasse. La chose se réglera par un arrangement des parties intéressées. Peut-être la commission scientifique internationale pouvait-elle y préluder en traitant le problème de tous les tracés : c’était une mission digne d’elle, et il est regrettable qu’elle ait accepté un mandat plus étroit que son titre en consentant à statuer simplement sur la possibilité matérielle du canal de Suez à Peluse. Ce que cette commission aurait si bien fait et paraît ne vouloir pas faire, d’autres doivent le tenter dans la mesure de leurs forces. Tout doit être repris à nouveau. Rien n’est admis, rien n’est exclu, tant que les gouvernemens ne se seront pas mis d’accord pour sanctionner une œuvre industrielle qui est à la fois la plus grosse affaire et le plus grand événement du monde. L’isthme de Suez veut une autre diplomatie que l’isthme de Panama. Il n’y suffit pas de l’entente d’une compagnie et du pouvoir local, il y faudra peut-être un autre traité de Westphalie. Jusqu’à cette décision suprême, la question est entière, et la discussion doit préparer les résolutions futures.

Qu’il nous soit permis de solliciter l’attention du lecteur. Sans doute, au point où en est l’entreprise de Suez, nous avons à nous interdire, à côté de l’examen du fond de l’affaire, ces considérations variées qui l’ont accompagné longtemps comme une sorte de plaidoirie opportune et attachante. Nous ne devons pas sortir de la question du tracé ; mais cette question met en jeu les plus chers intérêts de l’Europe, de l’Égypte, d’une compagnie, et nous croyons l’avoir posée sur un terrain élevé et décisif. Le tracé direct et le tracé indirect sont plus que deux projets particuliers, ce sont les deux types généraux d’où sortent, sont sortis et sortiront tous les plans possibles d’une jonction de la Méditerranée et de la Mer-Rouge ; types qui ne sont pas d’hier, car nous les retrouvons, dans l’histoire, soit à l’état de théorie soit à l’état de réalité. En un mot, ce sont des systèmes. En conséquence, nous avons dû subordonner le concours ouvert entre les projets de MM. Linant et Talabot à un débat péremptoire entre le système du tracé direct et le système du tracé indirect. C’est entre