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était actuellement la victime de cette tendresse, enfin qu’Ansha s’était liée contre elle avec l’iman, qu’Ansha le trompait. C’était tout un édifice qui s’écroulait, entraînant sous ses ruines quinze années de bonheur et de confiance ; c’étaient aussi les fondemens d’un nouvel édifice, d’un nouveau temple que le bey posait dans son cœur, temple dont Emina allait devenir l’idole. Malheureusement il y avait loin de la base au couronnement, et la mort était proche.

Sourd aux remontrances et aux supplications d’Ansha, qui le conjurait de ménager ses forces à peine renaissantes, Hamid quitta son lit et alla voir Emina. Il ne la trouva pas seule, car, alarmée des rapports qu’on lui faisait tous les jours, la vieille aïeule s’était fait transporter chez sa belle-fille, qu’elle ne quittait plus. Hamid s’était promis d’avoir avec sa jeune femme une explication franche et complète. Il comprenait à cette heure qu’Emina n’était pas heureuse, et il voulait enfin savoir pourquoi ; mais à peine l’eut-il regardée, que cette pensée s’évanouit. Il ne s’attendait pas à la voir ainsi, et ce fut à peine si, en contemplant ces traits altérés, ces yeux devenus plus grands et brillant d’un sombre éclat, cette taille penchée et ce teint de marbre, c’est tout au plus, dis-je, si quelques larmes ne mouillèrent pas sa paupière. Malgré le trouble que la présence inopinée d’Hamid lui causait, Emina ne tarda pas à s’apercevoir de son émotion. Elle le vit se lever ; elle crut remarquer des larmes dans ses yeux. Ce fut alors que la pauvre enfant, rassemblant toutes ses forces et implorant le secours de son Dieu, étendit vers Hamid son bras amaigri, saisit la main qu’il s’empressait de lui tendre, et dit en la portant tout doucement à ses lèvres : — Permets-moi de te demander une grâce.

Et elle le regardait d’un œil à la fois si suppliant et si tendre, que le bel Hamid n’y tint plus : — Tout ce que tu voudras, mon enfant ; tout ce que je possède, moi, mon sang, ma vie, je n’ai rien à te refuser.

— Promets-moi d’attendre encore quelques semaines avant de te… de…

Et voyant qu’Hamid la regardait avec anxiété, cherchant à lire sa pensée dans son regard, elle ajouta par un effort désespéré : — De ne pas amener de si tôt une autre femme ici !

Hamid était encore très faible, et son corps, bien qu’un peu amaigri, n’était pas des plus légers. Cependant à peine avait-il entendu ces mots, qu’il bondit de surprise et de colère. — Une autre femme ! s’écria-t-il, une autre femme ! et qui y songe ? D’où te vient cette idée, mon enfant ? Sois tranquille, il ne viendra pas de femme ici ni maintenant, ni plus tard, à moins que toi-même ne l’ordonnes.