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fer. « Il avait, disent les historiens, un petit manteau rond, des manches de chemise fort amples, des bottines où les éperons n’étaient pas liés avec des courroies, à la manière des Franks, mais enfoncés dans le haut du talon, et un javelot à la main. » Le jeune Louis, dans cet équipage, avait un air à la fois guerrier et gracieux. Charles lui ceignit lui-même son baudrier garni de l’épée à la vue des troupes rangées en cercle, et cette remise solennelle des armes est ce qu’on appela plus tard « faire chevalier, » Les généraux ayant reçu leurs ordres et chaque corps d’armée sa destination particulière, le roi partit pour les bords de l’Ens, où stationnait la division qu’il devait commander en personne.

Le plan de campagne de Charlemagne, si mûrement préparé, au dire des historiens, semble avoir devancé, par la hardiesse et la science des combinaisons, le génie stratégique moderne[1]. Maître de l’Italie en même temps que de la Bavière, il prit deux bases d’opérations, l’une sur le Haut-Danube, l’autre sur le Pô. Tandis que l’armée de France attaquerait la Hunnie de front par la grande vallée qui la traverse, l’armée d’Italie, sous la conduite du roi Pépin, devait franchir les Alpes et la prendre en flanc par les vallées de la Drave et de la Save. L’armée franke était partagée elle-même en deux corps destinés à agir simultanément sur les deux rives du Danube. Charlemagne, prenant le commandement du premier corps, composé des Franks proprement dits, des Alemans et des Souabes, devait opérer sur la rive droite, la plus importante militairement, et envahir les Pannonies ; le second corps, composé des contingens saxons et frisons, devait suivre les chemins tourmentés et resserrés de la rive gauche et attaquer le cœur de la Hunnie ; il était commandé par deux généraux franks d’un grand renom, le comte Theuderic et le chambellan Megenfrid. Une flottille nombreuse, portant les approvisionnemens de la campagne et en outre les contingens bavarois, devait descendre le fleuve en suivant les mouvemens des deux divisions de terre, et fortifier l’une ou l’autre au besoin. Pépin avait reçu l’ordre d’arriver sur les Alpes à la fin d’août et de pénétrer immédiatement dans la Pannonie inférieure ; les opérations sur le Danube étaient fixées à la première semaine de septembre.

De leur côté, les Avars ne s’endormaient pas ; ils avaient profité du répit que leur laissait Charlemagne pour réparer ou compléter leur système de défense, système étrange qui ne ressemble à aucun autre,

  1. Il est curieux de comparer le plan de campagne de Charlemagne avec celui que suivit Napoléon en 1805 dans la célèbre campagne d’Austerlitz. La similitude est frappante à la distance de tant de siècles, et démontre que la stratégie est bien une science dont les élémens principaux sont fournis par la topographie ; mais c’est le génie de l’homme de guerre qui les dégage, les combine et en fait pour lui des instrumens de victoire.