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poètes italiens leur manière leste et dégagée, leur talent d’exagérer les petites choses, leurs antithèses, leur recherche parfois gracieuse d’idées et de mots. Tout ce bagage d’une littérature traditionnelle, ces procédés de métier restés en Italie, oubliés ailleurs, frappaient d’admiration des esprits habitués aux formes un peu lourdes qu’apportaient avec leur science les philosophes théologiens de l’île de Bretagne. On se passa donc de main en main, on lut avec une avide curiosité les nouveaux vers de Théodulf, dont le succès apparemment fut d’autant plus général que chacun y trouva pour soi un souvenir aimable ou une flatterie. D’abord c’était le roi a sage comme Salomon, fort comme David, beau comme Joseph ; » puis la belle Luitgarde, que Charles venait de mettre dans son lit aussitôt après la mort de Fastrade, puis les princesses filles du roi pour le portrait desquelles le poète-évêque avait épuisé toutes ses réminiscences mythologiques et toute la nomenclature des pierreries et des fleurs. Les fils du roi n’y étaient point oubliés, non plus que leurs fidèles et les lettrés de l’académie, Riculfe-Damœtas, Ricbode-Macarius, Thyrsis le camérier et Ménalcas le grand-maître de la table du roi. Avec tout cela, il restait peu de place pour le sujet de la fête, quoique la pièce fût passablement longue. Par une fiction assez heureuse, l’auteur introduisait, à la suite des Avars, les Arabes d’Espagne, qu’il montrait dans le lointain désireux aussi du baptême et du joug des Franks, et, ce qu’on ne dédaignait pas à la cour de Charlemagne, venant verser les trésors de Cordoue dans les coffres d’Aix-la-Chapelle. « Grand roi, disait-il, reçois d’un cœur joyeux ces trésors de toute sorte que Dieu t’envoie des terres pannoniennes ; rends-en grâces au Tout-Puissant, et que ta main comme toujours soit généreuse pour ses temples. Voici venir toutes prêtes à servir le Christ des nations que ton bras puissant pousse vers lui : c’est le Hun aux longs cheveux nattés et pendans par derrière ; le voici aussi humble dans la foi qu’il était orgueilleux dans l’impiété. Que l’Arabe se joigne à lui ! Ces deux peuples sont également chevelus ; que l’un marche au baptême avec sa chevelure tressée, l’autre avec sa crinière en désordre ! Riche Cordoue, envoie bien vite vers ce roi, à qui doivent se faire tous les sacrifices glorieux, les richesses accumulées depuis des siècles dans ton trésor ! De même que les Avars accourent, accourez, Arabes et Numides ; fléchissez à ses pieds vos genoux et vos cœurs. Ceux que vous voyez là ne furent pas moins que vous fiers et cruels, mais celui qui les a domptés saura bien vous dompter aussi ! »

Ces fêtes se célébrèrent au milieu du désordre d’une ville en construction, car la grande cité d’Aquisgranum, la seconde Rome, comme disaient les poètes du temps, sortait alors de terre sous les yeux et par l’active impulsion de Charlemagne. Attiré dans ce site enchanteur par l’abondance des sources thermales qui y formaient