Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sang versé au loin peut apparemment servir à l’œuvre de purification, tout comme celui qui se verserait pour défendre le sol natal. Le défaut de tout cela est celui qui comprend tous les autres, l’absence de vérité. Cela n’est vrai d’aucune façon, ni dans le fait, ni dans l’opinion. Il n’est pas vrai que la paix eût fait de l’Angleterre une caverne de voleurs, il n’est pas vrai que le culte de Mammon fût la religion nationale, il n’est pas vrai qu’en fait d’honneur ou d’honnêteté le niveau fût ravalé si bas. Bien au contraire, et tant que dans un pays l’or reste impuissant à acheter l’indulgence ou à forcer le respect, on ne doit pas se plaindre. C’est ce qui a lieu encore en Angleterre, et tout l’or de la Californie, M. Tennyson le sait bien, ne pourrait assurer à qui l’aurait mal gagnée la considération publique ou une position dans le monde. L’Angleterre a sa faiblesse comme les autres pays, et du côté de l’influence politique ou parlementaire, tout ou à peu près tout est possible ; mais, quant à se prosterner devant le métal lui-même, quant à oublier toute dignité humaine, toute estime de soi, en face de beaux hôtels, de brillans équipages, de tables somptueuses, de ce qui, en un mot, est l’enseigne de la fortune, — non, l’Angleterre ne peut s’abaisser à ce point, car deux choses l’en empêchent : son orgueil et son habitude de la richesse. Que les problèmes sociaux réclament là une solution effective, cela est indubitable ; mais ils l’y réclament comme partout ailleurs, ni plus ni moins, et sous ce rapport je doute que l’on trouve grand avantage à la guerre.

Nous avons dit que l’éternel thème de Roméo et Juliette servait de canevas aux broderies de M. Tennyson. Jusque-là, point de mal, car Roméo et Juliette, c’est l’amour même, et rien n’empêche qu’en racontant de nouveau cette vieille histoire, on ne soit original : il suffit pour cela d’être vrai.

Le héros du poème, qui en est lui-même le narrateur, rencontre un jour Maud, dont le père et le frère sont revenus du continent habiter le grand château, dû, à ce que nous savons, à leur bonne chance en affaires. Tout enfant, Maud a joué avec le sombre personnage qui, autrefois l’héritier de ces beaux domaines, aujourd’hui habite un cottage dans le voisinage du parc. On se revoit, on se retrouve, on s’aime, rien de plus naturel. Maud est destinée à épouser je ne sais quel jeune lord qui, selon le trop évident parti-pris de l’écrivain, est de toute nécessité un vaurien et un lâche. Par une belle nuit d’été, elle se glisse parmi les rosiers en fleur du jardin, pour aller deviser d’amour avec celui qu’elle-même a choisi. Le frère les surprend tous deux ; une querelle éclate, le frère insulte l’amant ; un duel a lieu, et l’amant tue le frère, après quoi tout est fini.

J’ai une seule fois retrouvé dans Maud le Tennyson des anciens