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pareille nature n’est point fanfaronne : si elle s’épanche parfois en apparence, ce n’est que pour produire une impression voulue, pour s’assurer l’impunité d’avance ; mais la loquacité n’est ni de son humeur instinctive, ni même de son temps. Le François Cenci de Shelley, loin d’être un Italien du XVIe siècle, ressemble bien plus à un bavard de nos jours, qui dit plus qu’il ne fait. Évidemment le poète d’Alastor ne sait pas comprendre cette iniquité compliquée. Chacun des traits par lesquels il voulait la peindre porte à faux, et du portrait de François Cenci il reste non pas l’image de l’homme le plus infâme qui fut jamais, mais le simulacre d’une créature qui n’est pas de notre espèce, d’un être aussi peu voisin de l’humanité que le sont par la forme extérieure les idoles d’un temple hindou.

Si le François Cenci de Shelley, comme nous le disions tout à l’heure, est faux, pareille chose ne peut se dire de Béatrix ; depuis le commencement jusqu’à la fin de cette tragédie épouvantable, on voit éclater en elle toute la vérité que sa monstrueuse situation comporte. Elle vit de la première page à la dernière, et les circonstances une fois données, elle ne pourrait être autre que ce qu’elle est. Au premier abord, peu de caractères semblent plus compliqués que celui de Béatrix Cenci, et dans l’histoire, comme dans le drame de Shelley, elle vous étonne et vous choque par la façon dont elle nie sa participation au meurtre de son père, et par sa manière altière de proclamer une innocence que vous savez bien n’être pas. La juger ainsi cependant, c’est la juger imparfaitement. L’unité de son caractère est dans le respect de soi, sa force est dans son culte de l’honneur, et la nature et le poète l’ont tous deux créée de telle sorte que le point sur lequel elle est le plus outragée est celui par lequel elle est le plus complète. Moins chaste, elle serait moins cruelle ; moins offensée, elle serait plus sincère ; mais le crime qui a terni sa pureté, en laissant debout son orgueil farouche de jeune vierge, lui prescrit le châtiment du criminel comme un devoir, et ne lui permet, comme elle-même le dit, a d’autre culte, d’autre moyen d’adorer Dieu que sa haine. » Fière, franche, loyale, brave, calme, inflexible dans sa droiture, tout en elle se révolte contre une flétrissure, et souillée, elle est bien à la lettre hors d’elle-même. Sa conscience se déplace en quelque sorte, le bien et le mal changent d’aspect, et elle obéit à l’honneur et à sa propre gloire en se vengeant, comme aussi en niant sa culpabilité sur l’échafaud même. C’est le poète Landor, je crois, qui, parlant de la dernière scène des Cenci, va jusqu’à l’appeler divine, et dit que « sa beauté, étant celle de la plus haute raison, fait oublier tout l’égarement de crime qui la précède. » Il est de fait qu’au théâtre peu de choses ont jamais atteint à l’effrayante grandeur de ce dialogue entre Béatrix et