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Marzio, l’assassin de François Cenci. On est devant la cour de justice de Rome ; les juges et le cardinal Camillo siègent au tribunal. Marzio est confronté avec ses complices, Lucrèce Petroni la veuve, Giacomo et Bèatrix Cenci.


« — Regardez cet homme, dit un des juges montrant Marzio, qui revient de la question. Quand le vites-vous pour la dernière fois ?

« BÉATRIX. — Jamais nous ne le vîmes.

« MARZIO. — Vous ne me connaissez que trop, madonna Béatrix.

« BÉATRIX. — Je te connais, moi ! Où t’ai-je vu ? Et quand ?

« MARZIO. — Vous savez bien que c’est moi que vous avez poussé à tuer votre père… Vous, seigneur Giacomo, vous, madonna Lucrèce, vous savez que ce que je dis est vrai ! (Béatrix s’avance vers lui d’un pas lent et ferme ; il se cache la figure et recule.) Oh ! par pitié ! foudroie la terre de la colère de tes yeux, mais détourne-les de moi !… La torture seule m’a forcé à avouer. Mes seigneurs, ayant tout dit, que l’on me mène à la mort !

« BÉATRIX. — Misérable que tu es ! je te plains ; mais attends encore.

« LE CARDINAL. — Gardes ! ne l’emmenez point.

« BÉATRIX. — Cardinal Camillo, on vante en vous la sagesse et la bonté. Se peut-il donc que vous demeuriez spectateur de la méchante comédie que voici ? Un misérable esclave tremblant est arraché à des tortures qui ébranleraient le courage le plus fort, et condamné à répondre, non pas ce qu’il sait ou croit, mais ce que veulent ceux qui, dans leurs questions mêmes, indiquent la réponse. Et cela en vue de tortures nouvelles telles que Dieu ne les infligerait pas aux damnés ! Dites maintenant, ce dont vous êtes convaincu, dites que si votre corps à vous était étendu sur la roue, et que l’on vous vînt demander l’aveu du meurtre de votre neveu, de ce blond enfant qui animait votre vie, de cet enfant dont la perte a mis la mort autour de vous, dites que vous vous écrieriez : Je confesse tout ce qu’on veut, et qu’ainsi qu’une grâce vous réclameriez de vos bourreaux une mort honteuse ; dites que vous vous conduiriez comme cet homme ! Seigneur cardinal, je vous prie, proclamez mon innocence ! »


À ce fier appel, le prélat, qui est cousin des Cenci et a toujours défendu Béatrix contre les cruautés de son père, se trouble et veut faire surseoir au procès. « Elle est innocente, s’écrie-t-il ; le crime ne peut s’allier à cette pureté divine ! — Assumez-en sur vous la responsabilité, seigneur, lui répond un des juges ; car sa sainteté le pape veut qu’en cette affaire on montre une juste sévérité. Les prisonniers sont convaincus de parricide, les dépositions prouvent que….. »


« — Quelles dépositions ? s’écrie Béatrix. Quelle preuve ? Les paroles de cet homme !

« LE JUGE. — Précisément.

« BÉATRIX (se tournant vers Marzio et s’adressant à lui :) Avance ! Viens ici près de