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proposer à l’Europe de risquer cent millions à Tineh afin de se passer d’Alexandrie, où il y a un mouvement annuel de 700,000 tonneaux. Nous n’avons qu’un mot à ajouter : n’est-ce pas transformer heureusement le port créé par Alexandre pour être l’entrepôt de l’Europe et de l’Asie que d’en faire la tête du canal des deux mers ?

Le tracé indirect est donc le vrai système du canal, et c’est l’honneur du projet de M. Talabot de l’avoir retrouvé. La question a gagné en précision. Alexandrie est une donnée d’une autre nature, mais du même degré que Suez ; ce sont les deux points nécessaires. L’isthme n’est plus le milieu de traversée, c’est le Delta ; le canal n’est plus un cours d’eau salée, c’est un fleuve : un canal d’eau douce, le Delta, Alexandrie et Suez, tels sont les termes désormais indiscutables. C’est une formule acquise. Est-elle suffisamment précise, est-elle complète ? Nous allons l’apprendre en examinant le projet qui en est l’expression ; mais, qu’on veuille le remarquer, ce projet n’est pas le seul mode d’application du système, qui en comporte deux autres, à ce qu’il semble. Ce sont trois en tout : 1° le canal peut passer par la zone supérieure du Delta et l’envelopper de ses deux branches, c’est le projet de M. Talabot ; 2° le canal peut traverser la partie moyenne du Delta et le scinder en deux portions ; 3° enfin le canal peut avoir son parcours sur la zone maritime du Delta. Autrement dit, le canal peut passer par le sommet du triangle, par le centre ou par la base. Il faudra donc, pour ne pas manquer à l’ordre méthodique de cette étude, examiner successivement les trois tracés dans lesquels le type unique du tracé indirect se réalise ; l’un des trois ne peut pas ne pas être le tracé normal cherché.

L’idée caractéristique du projet de M. Talabot, c’est le canal se combinant avec le barrage. Quoique le canal doive concourir à l’irrigation du sol, l’accord des intérêts du commerce de l’Europe et des intérêts de la production de l’Égypte eût paru incomplet à moins de la solidarité de la grande voie navigable du monde et du grand bassin d’arrosage du Delta. Cela est d’une vue supérieure sans contredit, et quand bien même la juxtaposition du canal et du barrage ne serait pas la condition indispensable de cette solidarité, c’est le cachet d’originalité et de force du projet. Nous en avons dit la pensée, voici les moyens. Le canal, qui durant les crues a la possibilité de traverser le Nil, le traversera durant l’étiage à la faveur de la retenue provenant du barrage, si pourtant le barrage s’achève, si pourtant la retenue est suffisante. En cas d’insuffisance ou de non-achèvement, le canal passera le fleuve sur un pont, qui alors servira à l’établissement définitif de ce barrage commencé il y a plus de vingt ans pour être recommencé et interrompu. Ainsi un chenal, moyennant le barrage terminé et le niveau convenable de la retenue ;