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rien diminuer du juste renom des autres représentans de la jeune école en Angleterre, la simplicité et la sincérité absolues de Shelley ne revivent au même degré que dans l’auteur de Casa Guidi, cette chétive créature en qui la « force du dehors » est presque totalement absorbée par la « force du dedans, » pour me servir des termes de Shelley lui-même.

Si à présent nous devons revenir une dernière fois aux deux ouvrages qui font le sujet de ce travail, et dont l’un vient d’un débutant, l’autre d’un écrivain qui a passé l’apogée de sa puissance, nous dirons que tous deux semblent indiquer assez les conditions actuelles de l’art poétique en Angleterre. Les tendances de l’un comme les insuffisances de l’autre marquent une même phase dans l’histoire de la poésie nationale. Du reste, voici longtemps déjà que ce qui n’est qu’apparence dans la langue, coloris, sonorité, fantôme en un mot, a été de tous côtés l’objet des plus rudes et des plus persistantes attaques, et ceux qui suivent un peu le mouvement actuel de l’esprit chez nos voisins ont pu constater l’acharnement avec lequel on y prêche la croisade contre le fine writing, c’est-à-dire contre ce qui n’est qu’ornement extérieur, abondance descriptive, luxe phraséologique, ce qui en un mot fournit la parole à qui n’a rien à dire. Si je ne me trompe, le règne de l’imagination pure est fini dans la littérature anglaise. Dans la poésie surtout, et désormais à la place de ce qu’eux-mêmes appellent la peinture par les mots (word painting), il serait possible qu’on exigeât plus de hardiesse et de sincérité dans les idées, de plus nécessaires, de plus indissolubles rapports entre l’expression et l’impression qui la commande. Le vent est à la poésie en Angleterre, nous l’avons dit ici même il y a plus de deux ans, nous le répétons encore, mais à la poésie comme interprétation suprême de la pensée humaine. La guerre contre les idéologues en matière d’art a pris fin, et dès lors le premier pas est fait. Il ne serait point étonnant que d’ici à quelques années l’école de Coleridge et de Shelley ne dotât l’Angleterre de quelque esprit distingué dans la voie des études psychologiques ; mais dès à présent, on peut l’affirmer en toute sécurité, le temps des simples rimeurs est passé. On s’est dit dans la patrie de Shakspeare que ce n’était pas tout que de chanter, et que ce que nous désignions tout à l’heure sous le nom d’art extérieur ne remplissait pas toutes les conditions de la grande poésie. La grande poésie est plus durable ; elle a la vogue et la gloire, le temps présent et la durée des siècles.


Arthur Dudley.