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singulières existent entre notre système nerveux et des agens que la nature a disséminés çà et là : grand phénomène qui laisse pénétrer l’œil profondément dans l’histoire de la vie, montrant, dans le point en apparence le plus délicat et le plus indépendant, les subordinations nécessaires qu’indique déjà l’emploi des élémens, oxygène, hydrogène, azote et carbone, dans la constitution des êtres vivans. Une foule de substances ont le pouvoir de troubler les mouvemens, la sensibilité, l’intelligence. Veut-on produire une succession indéfinie de visions enivrantes qui charment le temps et soustraient la vie à ses ennuis, à ses fatigues, à ses devoirs, on n’a qu’à fumer l’opium, qu’à boire le hachich, pour déplacer aussitôt le centre des sensations et faire disparaître la réalité sous des illusions changeantes ; aujourd’hui même, des milliers ou plutôt des millions d’individus demandent à ces agens le facile bonheur de rêves délicieux. D’autres livrent le corps à des convulsions que rien ne peut maîtriser ; administrez quelques parcelles de strychnine, et vous verrez les muscles s’agiter sous l’aiguillon qui les pique, et, comme des chevaux qui ne connaissent plus de frein, échapper au contrôle habituel de la volonté. Voulez-vous faire entendre à l’oreille des bruissemens prolongés et formidables, sans qu’il y ait au dehors aucun son de produit, donnez une suffisante quantité de sulfate de quinine, et il semblera à celui qui l’aura prise qu’une cataracte l’assourdit incessamment du fracas de ses eaux qui se brisent au loin. Voulez-vous agir sur l’œil et troubler la vision, la belladone est là toute prête pour infliger une cécité transitoire. Je m’arrête ; ces substances et bien d’autres sont autant de doigts qui vont faire mouvoir telle touche, faire vibrer telle corde. Tout est département, tout est spécialité, tout est localisation, tout a une organisation et un office séparé, et c’est sur ces organes tous différens et tous chargés d’actes différens que se portent les agens ou accidentels et nuisibles (ce qui constitue la maladie, la pathologie), ou choisis et envoyés (ce qui constitue la médecine). Tout concourt, a dit le vieil Hippocrate, dans le corps. À cette vérité générale qui frappa tout d’abord la vue d’une science naissante, il faut ajouter que tout y est spécialité, vérité qui était reculée loin des yeux, et qu’une science plus avancée a mise en lumière.

Indépendamment de tant de substances qui suscitent les troubles les plus variés, il est d’autres conditions qui désordonnent et déconcertent le système des fonctions nerveuses. Les sens, les mouvemens, le moral, l’intelligence, n’ont pas besoin d’être sollicités par des objets du dehors, par des impressions extérieures, par des agens introduits dans l’économie, pour produire les actes qui leur sont