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Quoique je sois profondément convaincu de l’inopportunité d’une statue équestre dans la cour du Louvre, et j’ai dit pourquoi, j’aurais accueilli sans déplaisir une œuvre de ce genre, si elle eût été conçue et composée avec simplicité. Dans le François Ier de M. Clésinger, je ne trouve rien de pareil : cheval et cavalier ne conviennent qu’au théâtre ; je ne vois là rien de monumental. La toque a plus d’importance que la tête du cavalier, le harnais a plus d’importance que le cheval. La queue, relevée pour une raison que j’ignore, ofire une ligne des plus malheureuses. Le portrait de Titien, que nous avons au Louvre, admirable comme peinture, ne donne pas de François Ier une idée très avantageuse ; il exprime la luxure, la gourmandise, et révèle une intelligence très modestement développée. Il me semble cependant que le statuaire pouvait tirer parti de ce portrait en le modifiant légèrement. Personne n’eût songé à l’accuser d’infidélité en voyant le front s’avancer au lieu de fuir, comme dans le portrait vénitien, les pommettes moins saillantes, les lèvres un peu moins épaisses. On aurait accepté sans répugnance ces corrections, que réclamait la sculpture monumentale. La gourmandise et la luxure ne sont pas les traits caractéristiques d’un Mécène, et puisqu’il s’agissait d’un roi protecteur des arts, parmi les visiteurs les plus assidus de la galerie du Louvre, il ne s’en fût pas trouvé un seul pour reprocher à M. Clésinger la faiblesse de sa mémoire. Il a copié servilement, et pourtant inexactement, le portrait de Titien. Il nous a donné une tête de Faune qui s’accorde assez mal avec la destination du modèle.

Il est donc permis d’affirmer que M. Clésinger a complètement oublié ou méconnu le but qui lui était assigné. Il s’agissait d’une sculpture monumentale destinée à retracer l’image d’un roi protecteur des arts : qu’a-t-il fait ? que nous a-t-il donné ? À cet égard, les avis ne sont pas partagés. Le François Ier exposé dans la cour du Louvre ne satisfait à aucune des conditions du programme. Je ne veux pas rappeler toutes les conjectures plus ou moins hasardées auxquelles a donné lieu cette étrange statue. Ce serait traiter d’une manière trop légère un sujet grave. Que des esprits enclins à la raillerie aient vu et s’obstinent à voir dans l’œuvre de M. Clésinger l’image non pas de François Ier, mais du héros de Cervantes, je n’ai pas à m’en inquiéter. Je ne veux pas introduire dans la discussion des élémens que la raison doit répudier. Qu’ils s’étonnent de ne pas trouver Sancho près de son maître, c’est un regret que je ne puis accueillir. Sans recourir à de tels argumens, il est facile de démontrer que la statue de François Ier ne répond pas à sa destination. Non-seulement en efi"et la toque ne s’accorde pas avec la cuirasse, mais lors même qu’on accepterait sans répugnance le costume singulier, à demi pacifique, à demi guerrier, qu’il a plu à l’auteur d’inventer, on aurait encore le droit de lui demander pourquoi, au lieu de laisser le cheval au repos, comme l’exige impérieusement la sculpture monumentale, comme le bon sens le conseille, il a imaginé un mouvement qui inquiète le spectateur. Le cheval se cabre, et comme le cavalier est assez mal assis, comme il n’est pas maître de sa monture, on craint à chaque instant de le voir désarçonné. Si M. Clésinger eût pris la peine de consulter les monumens de son art qui font autorité en pareille matière, il aurait compris que la sculpture monumentale ne s’accommode pas de ces mouvemens désordonnés. Dans une statue équestre, il ne s’agit pas de représenter