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ne comprend pas l’inégalité de la lutte, sa défaite est certaine. Lors même que son reg-ard atteindrait tous les élémens de la vérité, ce qui lui est refusé, comme il ne dispose pas des mêmes moyens que la nalure, il serait vaincu. Ainsi, quand on arriverait à prouver que dans la statue de M. Clésinger ni le cavalier ni le cheval ne laissent rien à désirer sous le rapport de l’exactitude, il resterait à prouver que l’œuvre est belle, qu’elle intéresse, qu’elle dit quelque chose à la pensée.

Les défauts que j’ai signalés dans la statue de François Ier, et qui frappent tous les yeux, ne doivent pas surprendre ceux qui ont suivi avec attention les travaux de M. Clésinger. Lorsqu’il a voulu aborder la sculpture religieuse, les admirateurs les plus empressés, les plus sincères de la Femme piquée par un serpent ont reconnu que son talent n’était pas à la hauteur d’une pareille tentative, et n’ont pas même essayé de le défendre. C’était en effet le parti le plus sage. Quelques-uns de ses bustes ont réuni d’assez nombreux suffrages, je dois même reconnaître que parmi les gens du monde ils ont passé pour de véritables chefs-d’œuvre. Malheureusement pour l’auteur, quelques amis imprudens ont prononcé le nom de Coustou, et les hommes familiarisés avec l’histoire de la sculpture française ont dû repousser cette étrange comparaison. Les femmes de Nicolas Coustou, placées devant le château des Tuileries, n’ont rien de commun avec les bustes de M. Clésinger. Il y a dans ces figures une élégance qu’il n’atteindra jamais, si nous devons juger de son avenir par son passé. Il ne faut pas s’abuser en effet sur le mérite de res bustes si vantés. Dépouillés de la couche légère de stéarine qui les recouvre, ils auraient bientôt perdu la meilleure partie de leur charme. Tout ce qu’on peut louer dans ces œuvres trop prônées, c’est une certaine habileté de ciseau. Quant à l’expression des physionomies, elle n’a rien qui excite l’attention. Rapprocher M. Clésinger de Nicolas Coustou, c’est, là en vérité un étrange caprice. Pour imaginer une telle comparaison, il faut compter singulièrement sur l’ignorance des lecteurs. Quoique les développemens de l’art français depuis la renaissance jusqu’à nos jours ne fassent pas partie de l’enseignement ordinaire de nos écoles, un tel jugement devait rencontrer des contradicteurs.

Insuffisant dans la sculpture religieuse, prosaïque dans la représentation du masque humain, comment M. Clésinger s’est-il trouvé chargé d’un travail aussi important que la statue de François 1er. Je ne veux pas accuser légèrement ceux qui distribuent les commandes : je ne m’étoime pas qu’ils aient songé à l’auteur de la Femme piquée par un serpent, car cette figure, malgré les objections très légitimes qu’elle a soulevées, garde encore aujourd’hui une véritable popularité. Il sera toujours difficile de contenter tout le monde, et si le choix de M. Clésinger ne s’accorde pas avec ses antécédens, sévèrement estimés, je reconnais sans hésiter que pour bien des gens c’était un acte de justice. En apprenant cette heureuse nouvelle, ses amis nous promettaient merveille : nous allions donc avoir enfin un ouvrage original ; la sculpture allait se dégager de la routine. Si quelques incrédules secouaient la tête en écoutant ces magnifiques promesses, on les accusait de ne pas encourager les talens nouveaux, de suivre aveuglément les doctrines académiques. Aujourd’hui les incrédules n’ont pas besoin de