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cir ceux sur lesquels continue à planer quelque mystère, et sur ce chemin bien des obstacles peuvent naître assurément. La difficulté consiste à trouver une forme qui n’affaiblisse pour la France et pour l’Angleterre aucun des avantages d’une situation victorieuse, et qui n’offre pour le chef de l’empire russe aucune des humiliations ostensibles d’une défaite qu’il ne pourrait accepter aux yeux de ses peuples. Les résultats sérieux de la guerre une fois acquis et garantis d’ailleurs, les puissances occidentales seraient intéressées les premières à donner à cette forme le caractère d’une transaction élevée propre à sauvegarder la dignité des peuples, en devenant une règle nouvelle des relations européennes.

Ainsi se présente aujourd’hui la question avec ses chances diverses. L’acquiescement du cabinet de Saint-Pétersbourg aux propositions autrichiennes n’avait été consigné d’abord que dans une communication diplomatique émanée de M. de Nesselrode. Il a pris, il y a peu de jours, la forme d’un protocole qui a été signé à Vienne, et qui constate tout à la fois l’acceptation de la Russie et l’adhésion des autres puissances, en réservant au congrès qui va se réunir la mission de signer des préliminaires formels de paix, de conclure un armistice et d’ouvrir les négociations définitives. Le protocole est du 1er de ce mois, et c’est le 23 que le congrès doit inaugurer ses travaux au milieu de nous. Singulier retour des choses, qui ramène un congrès où la France va figurer en victorieuse dans ce Paris même où le duc de Richelieu signait il y a quarante ans, le désespoir dans l’âme, le traité du 20 novembre 1815 ! On connaît déjà les principaux hommes d’état qui vont intervenir au nom de leur pays dans la nouvelle réunion diplomatique. L’empereur Alexandre envoie le comte Orlof, l’un des premiers personnages de l’empire, dont la carrière est déjà longue, et qui a eu un rôle dans les plus grands événemens de l’histoire contemporaine de la Russie. Il fut notamment le négociateur des traités d’Andrinople et d’Unkiar-Skelessi. Il avait prouvé son dévouement à l’empereur Nicolas le jour de son avènement au trône, en présence de l’émeute qui grondait à Saint-Pétersbourg ; aussi était-il devenu le conseiller intime, le confident, l’ami écouté du dernier tsar, qui le choisissait encore au commencement de la guerre, pour aller proposer à l’Autriche un traité de neutralité. Le comte Orlof ne réussit pas, et il se trouve conduit aujourd’hui à venir négocier une paix dont la clairvoyance de son esprit aperçoit sans doute la nécessité, en même temps que la popularité de son nom doit la rendre acceptable en Russie ; il doit être assisté par M. de Brunnow. L’Angleterre et l’Autriche seront représentées, comme on sait, par leur ministre des affaires étrangères et leur ambassadeur à Paris. Le sultan envoie son grand-visir Aali-Pacha, qui figurera au congrès avec le ministre turc en France. La représentation diplomatique du Piémont s’est modifiée, sans doute pour devenir en tous points semblable à celle des autres gouvernemens. À la place de M. d’Azeglio, seul désigné d’abord, c’est le président du conseil de Turin, M. de Cavour, qui doit venir prendre part aux négociations avec le marquis de Villamarina, ministre sarde accrédité à Paris. Toutes les puissances engagées à un titre quelconque dans la lutte actuelle seront donc représentées dans le prochain congrès ; il n’y manquera probablement que la Prusse, qui s’est condamnée elle-même à l’isolement par sa