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eussent été assez fondés à relever les paroles de M. Pierce, ils n’en ont rien fait ; bien au contraire, ils ont poussé l’esprit de conciliation presque jusqu’à la limite de l’humilité, et certes ce jour-là lord Palmerston avait oublié le fameux civis romanus. Du reste les explications des ministres anglais étaient fort simples. En ce qui touche l’interprétation du traité Clayton-Bulwer, ils ont offert de soumettre la question à l’arbitrage d’une puissance amie. Quant à l’affaire du recrutement, ils ont tout fait pour désarmer la susceptibilité américaine sans aller cependant jusqu’à rappeler M. Crampton. La querelle suit son cours entre les deux gouvernemens, car à la veille de l’ouverture du parlement le cabinet anglais recevait encore une communication plus péremptoire de Washington. Les explications données par le ministère de Londres suffiront-elles pour satisfaire le gouvernement américain ? Il ne serait point impossible que la perspective d’une paix prochaine en Europe n’eût encore plus d’effet et ne servît à ramener le cabinet de Washington à une politique moins acerbe et moins impérieuse. Dans tous les cas, le cabinet britannique a prouvé certainement tout le prix qu’il attachait à ne se point brouiller avec les États-Unis. Cela ne paraît point suffire cependant à l’humeur pacifique de M. Bright et aux manufacturiers de Manchester, qui ont besoin du coton américain. Il est vrai qu’après les discours de M. Bright, il ne reste plus qu’à laisser les États-Unis suivre leurs volontés et leurs impérieux caprices, comme il eût fallu laisser paisiblement la Russie accomplir ses desseins en Orient. La politique de la paix eût été satisfaite ; il n’y a que la dignité des peuples qui eût reçu l’irréparable atteinte. Il n’est point douteux que le gouvernement anglais a une raison de tout faire pour éloigner une rupture avec les États-Unis ; mais si malgré tout cette rupture éclatait, la question pourrait bien changer de face, et l’attention de l’Europe pourrait se tourner du côté de l’Atlantique, pour demander enfin quelques garanties à cette politique turbulente qui remplit et agite le Nouveau-Monde de ses ambitions et de ses provocations.

Placée en dehors des conflits où d’autres peuples sont engagés, heureusement affranchie de toute complication extérieure, l’Espagne en est, aujourd’hui comme hier, à lutter avec elle-même ; c’est la condition de son existence politique depuis deux ans. La Péninsule parviendra-t-elle enfin à se donner un gouvernement ? De cet amas de passions personnelles, de rivalités, d’antagonismes qui semblent tout obscurcir au-delà des Pyrénées, sortira-t-il un pouvoir capable de reprendre d’une main vigoureuse la direction du pays ? Il n’y a pas d’autre question à Madrid. Après avoir voté une constitution qui reste provisoirement suspendue, le congrès discute maintenant les lois organiques, notamment la loi électorale, et pendant ce temps le cabinet vient de se modifier encore une fois, sans qu’il y ait eu à la vérité une crise réelle. Le ministre des finances, M. Juan Bruil, a quitté le pouvoir et a été remplacé par M. Francisco Santa-Cruz. Des considérations toutes personnelles ont sans doute présidé à ce changement, qui ne modifie pas d’une manière sensible la position du gouvernement. M. Francisco Santa-Cruz est un riche propriétaire de la province de Teruel, progressiste modéré, qui a déjà fait partie, comme ministre de l’intérieur, du premier cabinet formé après la révolution de 1854, et qui a donné sa démission, il y a six mois, pour quel-