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raisse suffisamment dans l’emploi et la distribution des matériaux, mais certainement c’est là un manuel qu’on ne pourra se dispenser de consulter chaque fois qu’on s’occupera de l’art de philosopher chez les anciens. M. Prantl s’excuse quelque part d’avoir laissé de côté la logique des écoles orientales, bien que les traditions de l’Asie aient exercé une influence manifeste sur les premiers développemens de la philosophie hellénique ; il prévient aussi, en demandant grâce, qu’il n’a parlé qu’accessoirement des logiciens arabes du moyen âge. Qu’il se rassure : ce n’est pas l’insuffisance des documens qu’on pourra lui reprocher. Je regrette pour ma part qu’il ait accumulé tant de choses. On étouffe dans cet arsenal de formules ; on voudrait y voir circuler un peu d’air, et l’on est tenté de s’écrier avec Goethe : mehr Licht ! Après tout, M. Prantl a remué beaucoup de faits, beaucoup d’idées, et cette abondance d’un écrivain qui ne sait se borner, défaut si grave chez nous, sera beaucoup moins remarquée chez nos voisins. On sait de reste que l’Allemagne ne ressemble pas à notre immortel fabuliste, et ce n’est pas elle qui dirait : Les longs ouvrages me font peur.

Que de faits aussi, que d’idées et de formules dans l’ouvrage de M. Christian Weisse ! Heureusement l’érudition de l’auteur s’applique à un fonds plus riche et plus varié. Il ne s’agit pas de consulter sur un même point l’opinion de toutes les écoles, il s’agit d’établir par la raison et par l’histoire la philosophie du christianisme. La philosophie du christianisme ! M. Weisse ne s’inquiète pas de savoir si ces mots sonneront mal aujourd’hui au milieu des passions contraires entretenues par les ennemis de la raison ; il est philosophe, il est chrétien, et il poursuit son œuvre. Dès la première page de son livre, il réfute l’intolérance et le fanatisme en rappelant qu’à toutes les époques où le christianisme a vécu d’une vie complète, il a eu sa philosophie. Cette philosophie se révèle déjà, et avec quelle sublimité ! chez saint Jean et saint Paul ; elle se développe chez les pères, et elle produit sous la plume de saint Augustin des monumens immortels. Que sont les travaux des scolastiques et des mystiques du moyen âge, sinon une série de systèmes philosophiques inspirés par la religion du Christ ? Des apôtres à saint Augustin, de saint Augustin à saint Thomas, de saint Thomas à Tauler, à Bossuet, à Leibnitz, à Schleiermacher, si cette tradition s’interrompt quelquefois, elle n’est jamais brisée. M. Weisse a raison de s’appuyer sur ces glorieux témoignages ; la meilleure partie de son livre incontestablement, c’est celle qui déroule devant nous ces grands et audacieux efforts de l’intelligence humaine. J’aurais même désiré qu’il fît une part plus large à ce développement historique de la philosophie chrétienne. Quand il nous donne ses propres commentaires des dogmes, il tombe souvent dans le vague ; l’histoire le contient et le redresse.

On demandera à quel point de vue s’est placé M. Christian Weisse et de quelle école il relève. M. Weisse est un de ces nobles esprits qu’avaient séduits d’abord la mystique grandeur de l’idéalisme hégélien, et qui bientôt, effrayés des conséquences d’une doctrine qui anéantit la liberté humaine, n’ont conservé de l’inspiration du maître que l’enthousiasme de la science et l’ardent désir de concilier la philosophie et la religion. Les ouvrages de M. Weisse sont nombreux ; un des plus remarquables sans contredit est celui