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l’organisation jusqu’au point où il se détruirait, et comptant ainsi découvrir l’organe destructeur. C’est là, je crois, sa première expérience : elle ne semble pas heureuse, car il retrouva partout le sucre qu’il avait injecté, et qui, loin de se détruire, rendit l’animal diabétique. Il avait simplement démontré que le sucre ordinaire ne peut pas être détruit directement dans le sang. Ce fait avait et surtout a eu depuis quelque importance, mais ce n’était point ce qu’il cherchait. Il recommença l’expérience en nourrissant des chiens avec des alimens sucrés; c’était de la soupe au lait. Au bout de sept jours, un chien fut sacrifié pendant la digestion. Le sang qui sort du foie par les veines hépatiques fut analysé; il était sucré : le foie n’était donc pas l’organe destructeur du sucre. Cela eût paru concluant à un observateur ordinaire; mais tel n’est pas le cas de M. Bernard. Il crut une contre-épreuve nécessaire pour bien démontrer que le sucre trouvé dans le sang venait directement des alimens, et ne provenait pas de l’organe encore inconnu qui, suivant lui, sécrétait sans cesse un principe sucré. Cette épreuve consistait à nourrir un chien avec des substances non sucrées et à analyser le sang sortant du foie. Dans le cas où ce sang ne contiendrait pas de sucre, la première expérience serait vérifiée. Un chien nourri exclusivement avec de la viande fut donc tué, et le sang de ses veines hépatiques, c’est-à-dire le sang qui sort du foie, fut analysé. Ce sang contenait du sucre comme celui du chien nourri de soupe au lait.

C’était là un résultat inattendu. Au lieu de découvrir l’organe destructeur, M. Bernard avait trouvé l’organe producteur du sucre : ces hasards n’arrivent qu’aux habiles. Il vérifia cent fois le fait, et toujours le sang des veines hépatiques était sucré, quelle que fût la nourriture de l’animal. Il varia de mille manières ses expériences, et trouva toujours que chez les animaux nourris de sucre, tous les organes, le sang de toutes les veines sont sucrés; que chez les animaux nourris de viande, le sang des veines hépatiques, le sang qui sort du foie contient seul du sucre. En outre le tissu du foie en renferme toujours des quantités considérables, et en 1848 M. Bernard put annoncer[1] qu’il avait découvert qu’un organe produisait sans cesse et en abondance du sucre aux dépens du sang qui le traverse, que cette production est indépendante de la nature des alimens, et que cet organe est le foie.

Qu’est-ce que le sucre? C’est une substance soluble dans l’eau, d’une saveur suis generis, et capable de se dédoubler par la fermentation en alcool et en acide carbonique. Ainsi le raisin contient du

  1. De l’Origine du Sucre dans l’économie animale (Archives générales de Médecine, octobre 1848. et Mémoires de la Société de biologie, 1849).