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universelle était singulière. Les découvertes de M. Bernard ébranlaient la chimie et la physiologie tout à la fois, et je ne crois pas qu’on puisse trouver dans l’histoire de la science un résultat plus imprévu que celui auquel il est arrivé. Assigner à un organe aussi important que le foie une fonction que rien ne pouvait faire prévoir, découvrir dans le corps humain, si étudié, si labouré en tous sens par les expérimentateurs, toute une série de phénomènes nouveaux et inconnus, leur attribuer l’influence la plus essentielle sur la nutrition et la vie, s’appuyer sur eux pour édifier toute une théorie sur la formation des tissus des organes, des végétaux et des animaux, et n’être exposé à aucune critique, à aucune attaque sérieuse ou frivole, de bonne ou de mauvaise foi, c’était en vérité un bonheur insolent, c’était triompher sans combattre. M. Bernard lui-même devait désirer d’être contredit. La discussion seule pouvait éclairer de telles questions : les attaques découvrent les points faibles des théories, et le désir de répondre et de se défendre fait trouver de nouvelles démonstrations. Pourtant, dès le premier jour, les expériences et les hypothèses de M. Bernard passèrent à l’état de vérités démontrées sans luttes et sans retard. Le fléau de notre temps, l’indifférence, paraissait avoir envahi la science elle-même, et les savans ne semblaient pas plus tenir à leurs opinions que n’y ont tenu tant de politiques et d’écrivains. Chez eux aussi, on n’en croyait plus sa raison ou ses convictions anciennes, et les succès d’un plus heureux ou d’un plus habile faisaient oublier ce qu’on avait cru vrai tant d’années, ce qu’on avait démontré tant de fois. Certes je ne prétends pas qu’il faille discuter et nier la vérité parce qu’elle ne nous convient pas, mais au moins faut-il, quand on le peut, ne pas changer en un jour et ne pas abandonner le terrain sans combat. La discussion est enfin venue, et, pour être tardive, elle n’en est pas moins redoutable. Si même, comme je le disais, M. Bernard devait désirer des attaques, je doute qu’il les eût choisies de cette nature. La contradiction est complète au nom de la physiologie comme au nom de la chimie. Les adversaires de la glycogénie, s’ils croient à la réalité des résultats de M. Bernard, pensent du moins que ses expériences, quoique très vraies et très correctes, ne prouvent rien; mais ceci veut une explication.

M. Figuier, le premier et le plus terrible des adversaires de M. Bernard, est plutôt un écrivain sur les sciences qu’un savant de profession et un expérimentateur. Jusqu’ici il avait raconté les travaux des autres, mais il n’avait point travaillé lui-même. M. Figuier, on s’en souvient, a exposé les principes de l’aérostatique, de la télégraphie et de la photographie. Ces études, quelque peu corrigées et augmentées, ont formé une Histoire des principales découvertes