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voit par ces traits généraux que l’aveugle est un être difficile à conduire. L’instituteur doit être l’œil de ceux qui ne voient pas. Il lui faut beaucoup de tact, de prudence et de sollicitude pour diriger ces natures défiantes et concentrées.

On n’avait d’abord fondé qu’une institution pour les enfans aveugles ; mais la philanthropie ne tarda point à s’apercevoir qu’elle avait seulement rempli la moitié de sa tâche. L’aveugle est par nature un être indépendant, il résiste aux conventions et aux servitudes de l’état social ; la vie libre et aventureuse lui plaît. Aussi plusieurs de ces malheureux, une fois sortis de la maison, se perdaient dans le monde, et tombaient souvent de l’état de vagabonds à l’état de mendians. En 1844, on a donc ouvert un asile pour les aveugles. C’est surtout dans l’asile qu’on peut se faire une idée de la vie de la cécité. L’aveugle est, malgré son esprit d’indépendance, un être méthodique ; l’ordre, la division régulière du temps et des actes, constituent le fond de son caractère. Dans cette nuit sans aurore, où son idée se replie sur elle-même, il a besoin de se créer une existence occupée ; il n’en goûte que mieux les délassemens permis à son état, la vie en plein air, le commerce avec la nature. On l’entend dire avec un accent ému : « Oh ! comme le temps est beau aujourd’hui ! comme le soleil brille ! » Les nuages, la mer, tous les phénomènes du monde extérieur, que les aveugles apprécient à leur manière, les pénètrent d’un charme doux et mélancolique. Il y a ainsi pour eux un ordre de jouissances mystérieuses que ne peuvent comprendre les autres hommes.

Le doigt, qui est chez l’être privé de la vue un organe de vision, est pour le sourd-muet un organe de parole. Cette seconde infirmité ne devait point rester étrangère à la sollicitude éclairée des Hollandais. Il existe à Groningue une institution célèbre, qui a pour base le système de l’abbé de L’Épée. Cette maison s’élève à une des extrémités de la ville, où elle se noie dans un flot de verdure que versent en été de grands arbres séculaires. La façade, coupée d’étroites fenêtres percées dans la brique, a le caractère grave qui convient à la demeure de l’étude et du silence. L’hospice reçoit des élèves des deux sexes. Une aile du bâtiment est réservée aux filles, l’autre aux garçons, mais les deux sexes sont réunis dans les classes. Cette réunion est un principe général en Hollande, où on la regarde comme profitable au développement de l’intelligence. Dans d’autres pays, où la séparation absolue existe, on a observé que les filles sourdes-muettes étaient généralement inférieures de deux années aux garçons. Ici au contraire, les résultats varient et s’équilibrent. Une année ce sont les garçons, une autre année ce sont les filles qui se distinguent ; mais en moyenne la force est à peu près égale. L’institution compte cent cinquante élèves, qui se distribuent en quatre classes et qui