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la barbe commence à croître, pour le fiancé qui désire passer l’anneau au doigt de la fiancée, pour le mari, pour le père, pour le grand-père. Il Instruit toujours et souvent il console. Ami des classes pauvres, il incline vers elles le cœur du riche, en le prévenant sans cesse de la fragilité du bonheur, des changemens soudains de la fortune, de l’inanité des biens sur lesquels se fondent l’orgueil humain et la considération sociale. Nourri aux sources de l’antiquité, il enveloppe ses maximes dans les scènes de l’histoire, dans les phénomènes de la nature. Je ne citerai qu’une de ses paraboles qui donnera une idée de la manière de l’auteur : « Nous lisons dans les livres du temps passé qu’à l’heure où le soleil mourait dans sa splendeur, il versait de sa bouche aux lèvres vermeilles une lumière dorée, et avec cette lumière un son argentin qui remplissait le vaste espace ; mais lorsque la flamme retirait ses rayons musicaux, lorsque les nuages du ciel, en passant, voilaient la face radieuse de l’astre, ou que les ombres du soir obscurcissaient sa clarté, la figure céleste devenait silencieuse, et n’excitait plus dans les airs le moindre frémissement harmonieux. Les choses étaient ainsi jadis. — Et maintenant encore l’homme qui vit dans l’éclat de Ta fortune passe, à la ville et à la campagne, à la cour et dans les académies, pour un homme de sens et de savoir : tout ce qui sort de sa bouche est admirable ; mais lorsque les nuages de l’adversité passent devant le soleil de sa fortune, quand les ombres du malheur voilent sa lumière, qui est un chant, c’en est fait de son règne. Toute sa valeur morale s’évanouit alors comme une vapeur, car quel est celui qui voudrait voir un sage dans un homme pauvre ? »

Avec de tels principes, on ne s’étonnera plus que le vieux père Jacob Cats-soit devenu le poète du peuple, ni que sa Bible des Paysans compose, avec l’autre Bible et avec l’almanach de l’année, toute la bibliothèque des malheureux. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que l’homme dont s’enorgueillit à juste titre la Néerlande fût un poète de premier ordre. Ses moralités sont prolixes. Cette grande expérience, cet inexorable bon sens, cette droiture naturelle sont des qualités qui commandent l’estime ; mais, au point de vue de l’art, on désirerait peut-être chez un poète, et même chez un poète moraliste, le rayon de la fantaisie. Bilderdyk prétendait que les œuvres de Cats contiennent un trésor : je le veux bien ; seulement c’est plutôt un trésor de sagesse que de génie. Je crains que le caractère éminemment moral du vieux Jacob Cats et des autres poètes nationaux n’ait conduit les Hollandais à s’exagérer la valeur de leur littérature. Le bon n’est pas toujours le beau ; et l’intention, si vertueuse qu’elle soit, ne suffit point à immortaliser les œuvres de l’esprit.

Les traces de Cats ont été suivies : presque tous les poètes anciens