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remplie. L’originalité de l’écrivain s’y dessine dans son meilleur jour.

Et toutefois la violence qu’il a subie à Goettingue, les ressentimens trop légitimes qu’il en garde au fond de l’âme, n’ont-ils pas à la longue porté quelque trouble chez ce mâle penseur? Il est certain que dans la période qui suit, ses doctrines vont prendre une âpreté nouvelle. A force d’attendre, l’esprit s’exalte et s’irrite. A l’émotion produite d’un bout de l’Allemagne à l’autre par le coup d’état du roi Ernest, M. Gervinus avait vu succéder peu à peu l’indifférence habituelle de l’opinion. Le mouvement était dans les partis extrêmes, et ce mouvement s’accroissait de jour en jour, tandis que le parti des constitutionnels, divisé et sans chefs, commençait à perdre foi en lui-même. M. Gervinus n’avait que de la répulsion pour les jeunes hégéliens, quoique les Annales de Halle, dès 1841, à propos de l’Histoire littéraire de l’Allemagne de M. Henri Laube, bafouant et flagellant sans pitié l’école du dilettantisme, eussent fait mille efforts pour attirer dans leurs rangs le signataire de la protestation de Goettingue. Sa place était à la tête du parti libéral. Il le sentait bien, mais l’irritation est mauvaise conseillère, et plus d’une fois M. Gervinus manqua de cette sûreté de coup d’œil qui révèle un chef et donne l’autorité. Attentif aux moindres bruits du dehors, il voudra du fond de son cabinet diriger les agitations de l’esprit public, et il lui arrivera de se fourvoyer en des chimères. Après un second voyage en Italie, il est revenu s’installer à Heidelberg (1840), où l’université le nomme bientôt professeur honoraire (1844), et le compte au nombre de ses maîtres les mieux écoutés. La vue de ce jeune auditoire, le souvenir des affronts subis, la colère que lui inspire l’engourdissement général de l’Allemagne, tout réveille son ardeur, et dans ses écrits comme dans sa conduite on verra maintes impatiences qui compromettront la netteté de son jugement. En 1845, par exemple, ne prendra-t-il pas au sérieux l’espèce d’insurrection tentée par Jean Ronge et Czerski ? L’entreprise des catholiques allemands lui semblera le signal évident d’un retour à l’unité religieuse; il croira très sincèrement que l’Allemagne catholique du midi est toute prête à faire cause commune avec le protestantisme, et si de graves théologiens protestans entrent dans la lice pour démontrer en quoi consiste une réforme, s’ils prouvent que la tentative de Jean Ronge n’a pas de caractère religieux, et que l’agitation produite dans les esprits n’est autre chose qu’un mouvement politique, M. Gervinus prendra aussitôt la plume et engagera contre eux une polémique ardente. Qui avait le plus de clairvoyance, du publiciste ou des théologiens? L’événement, ce semble, a répondu assez haut. M. Gervinus revient à son vrai rôle, lorsque deux ans après, au sujet de ce régime d’états-généraux accordé à la Prusse par