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nuels, ce dernier eut toujours l’ennemi à son seuil et le couteau sur la gorge. Quand il n’y eut plus d’espérance de ressaisir Kilia et Ackerman et de se rouvrir les embouchures du Danube, les provinces furent étouffées, si bien qu’elles ne firent plus aucun effort pour se relever : elles restèrent comme un corps mort sur un champ de bataille abandonné par le vainqueur lui-même. Or ce qui était vrai au temps d’Étienne, de Michel, de Démétrius Cantémir, l’est cent lois plus aujourd’hui que le Danube peut seul les tenir en communication ouverte avec leurs alliés ou protecteurs naturels. Concluons donc qu’il serait vain de songer à une organisation quelconque de ces provinces, si on ne les remettait en possession de communiquer librement et sûrement avec la Mer-Noire, comme elles l’ont fait tant qu’elles ont eu une existence assurée ou seulement disputée. Or cette conséquence entraîne la restitution d’une partie au moins de la Bessarabie, laquelle a été cédée contrairement à tous les droits.

Il est vrai que cela suppose au préalable l’union des deux principautés de Moldavie et de Valachie, premier élément de tout projet de réforme. L’instinct des populations ne permet pas d’en douter, il est unanime à cet égard. Deux provinces seulement sur six ayant échappé à l’étranger, les plus simples voient clairement qu’il faut au moins former un tout des débris qui subsistent ; autrement, les laisser systématiquement séparées l’une de l’autre, opposées l’une à l’autre, c’est éterniser la faiblesse, l’impuissance, la division, ou plutôt la désorganisation même. Ne sait-on pas que le morcellement a été la ruine de ces contrées ? Tout parti vaincu, toute faction tombée, tout prétendant désarmé sur l’une des rives du Milcov n’allait-il pas se refaire sur l’autre rive ? Chacun de ces petits états démembrés ne servait-il pas à démembrer son voisin ? Et cette division, cette guerre intestine qui a fait le malheur de ces provinces, on proposerait de la perpétuer ! ce serait le don de l’Occident à sa joyeuse entrée ! À qui donc profitera ce fléau ? À l’Autriche. Cela est vrai ; mais qui voudrait soupçonner l’Autriche de mettre son intérêt à la place de celui des peuples qu’elle protège ? C’est donc à la Turquie ? Mais qu’a-t-elle à gagner par la dislocation des provinces ? Que lui importe de posséder deux membres morts qui ne peuvent vivre que par leur réunion ? Que lui serviront deux cadavres pour se couvrir ? C’est d’un peuple vivant qu’elle a besoin, soit comme allié, soit comme dépendant ; elle a bien assez, Dieu merci, de ruines chez elle. Est-ce aux Roumains que profitera la division ? Encore une fois, toute cette terre crie pour solliciter qu’on l’en délivre. Revenons donc à l’évidence : pour établir une régénération quelconque, il faut une base, si petite, si étroite, si modeste qu’on la suppose, et ce