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UN
PRINCE KURDE
RÉCITS TURCO-ASIATIQUES.


I.

La nuit, une nuit tiède et sereine, venait de succéder aux clartés et au mouvement d’une chaude journée d’avril. Sur le sommet d’une des montagnes dont les ramifications traversent en tous sens la partie septentrionale de l’Asie-Mineure, se dessinait une masse d’épais bâtimens, illuminée çà et là par des feux qui de loin ressemblaient à des étincelles. Ces bâtimens étaient la résidence, le château, si l’on veut, d’un chef montagnard, d’un prince même, car tel était le titre que les populations kurdes donnaient au seigneur de l’endroit, à Méhémed-Bey. Les feux qui éclairaient le château étaient ceux des nombreuses cheminées de l’intérieur, alimentées par de nombreux troncs d’arbres et de véritables bûchers de branches sèches. Une de ces cheminées surtout semblait le foyer d’un véritable incendie : elle était destinée à chauffer la principale pièce du harem, et à l’heure où commence notre récit, ce brasier aux proportions colossales éclairait un curieux tableau d’intérieur musulman.

Des deux côtés et en face de l’âtre, le long des murs et devant de nombreuses fenêtres, une multitude de matelas et de coussins couvraient le plancher et l’estrade en bois élevée à l’entour de la chambre. Toute une population féminine se prélassait sur ces coussins et ces matelas. Les maîtresses du logis (et on en comptait jusqu’à cinq officiellement revêtues de cette dignité), des esclaves de tous les âges et de toutes les couleurs, des enfans aussi nombreux que les