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mencât à se refaire, à se repaître, sauf à le dépouiller de nouveau ou à le remplacer presque immédiatement par un plus pauvre ou plus obéré, qui serait en même temps plus avide à se jeter sur la proie.

Ici je dois avertir les écrivains de l’Occident qui cherchent avec raison des sujets propres avant tout à irriter, à aiguiser la curiosité lassée, que ce gouvernement du Phanar est le seul qui n’ait été défendu par personne, le seul qui n’ait pas été réhabilité, le seul qui ait laissé chez tous la même exécration, le seul dont n’osent parler ceux mêmes qui vivent de son héritage, — et si quelqu’un se sentait parmi nous une vive démangeaison de sophismes, je crois qu’il ne pourrait rien faire de mieux que de l’appliquer à ce sujet. Avec notre méthode éprouvée, il me semble qu’on pourrait dire avec assez de bonheur que ces princes du Phanar ont été méconnus par une critique frivole, qu’une philosophie plus profonde les a montrés sous leur vrai jour. Ce furent autant d’agens providentiels dont la mission nous apparaît aujourd’hui avec éclat. Sans doute ils paraissaient dévorer le pays, et tel a été le sentiment des contemporains ; mais c’est là une vue bornée, un phénomène tout extérieur auquel il ne faut pas se laisser prendre. Dans la réalité, ils rendirent au peuple, en l’exténuant au moral et au physique, un immense service. En le privant de tous les biens, en l’accablant de tous les maux, ils l’ont forcé de progresser à son insu. Que dis-je ? à force de le mutiler, ils l’ont formé à l’unité, à l’égalité. Ils ont tout avili. D’accord, mais n’y avait-il pas dans leur esprit de rapine un instinct éclairé des nouveaux problèmes sociaux ? Ils eurent des vices ; qui voudrait leur en retrancher un seul ? Chacun de ces vices n’était-il pas nécessaire à l’accomplissement de leur mission humanitaire ? Ne pourrait-on pas ajouter que, par cette tyrannie intelligente, ayant mis en poussière la société, ils l’ont jetée dans la voie des réformes sociales ? car vous m’avouerez que nul n’est si près de désirer un changement que celui auquel on a tout ôté. Et puis veuillez encore considérer que ces hommes admirables ont laissé à ce peuple un filet de vie, justement assez pour respirer !

Et que souhaiter de mieux pour d’amples réformes qu’une nation ainsi sagement préparée, par les mains savantes de trente ou quarante despotes, à subir le progrès, comme elle a subi la barbarie ? Après quoi je serais obligé de dire que ces subtilités dont nous pouvons amuser notre orgueil feraient difficilement fortune chez des gens dont les plaies saignent encore, et qui ne mettent aucune vanité à les cacher.

Il est bon qu’il se soit trouvé sous nos yeux une petite société chrétienne où le despotisme chrétien ait pu montrer tout ce qu’il