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une longue robe en étoffe de Damas vert tendre brodée en or et en perle ; une riche écharpe en tissu des Indes ceignait sa taille souple et svelte, un mouchoir d’une étoffe de soie moelleuse et légère entourait sa tête, et une grande quantité d’épingles en diamant et autres pierreries piquées dans ce mouchoir encadraient son visage dans une auréole resplendissante. Deux ou trois pendeloques étaient attachées à chacune de ses oreilles, et tenaient les unes aux autres par de petites chaînettes qui passaient sous le menton. Ce qu’il y avait cependant de plus remarquable dans son costume, c’était le collier, non pas ce que nous appelons ainsi, mais un nombre infini de monnaies en or, cousues sur un plastron en drap et appliquées sur la poitrine de manière à remplir au besoin l’office de cuirasse. Habibé, qui examina de près cet étrange bijou, remarqua que le drap du plastron était rembourré, et elle se risqua même à en demander la raison. — Ces monnaies sont si lourdes, répondit Kadja, qu’elles ont déjà déchiré quatre morceaux de drap sur lesquels je les avais cousues d’abord. — Ce jour est un grand jour pour moi, ajouta-t-elle après un moment de silence. Crois-tu que Méhémed tiendra sa promesse ?

— Je le crois, répondit Habibé, et il commettra une bien grande imprudence.

— Pourquoi ? reprit vivement Kadja, dont le visage trahissait une anxiété mêlée d’effroi.

— Parce que, surveillé, épié comme il l’est sans doute, il ne devrait jamais annoncer ses démarches à l’avance.

— Mais qui t’a dit qu’il ait annoncé son intention de venir ici aujourd’hui ? Nous le savons, il est vrai ; mais ce n’est pas une raison pour que d’autres le sachent.

— Et penses-tu, répondit Habibé, qu’en te voyant ainsi vêtue, chacun ne devine pas que tu attends ton époux ?

— Oh ! notre hôte est un ami sûr, et quand même il saurait que Méhémed doit venir, cela n’aurait aucun inconvénient.

— Je le souhaite, murmura Habibé, et les deux compagnes n’en dirent pas davantage sur ce sujet.

Cependant la journée s’avançait, et le bey ne paraissait pas. À mesure que les heures s’écoulaient, un nuage paraissait s’étendre sur les traits de Kadja, tandis que le regard d’Habibé devenait de plus en plus calme et serein. Enfin, à un moment où Habibé s’était rapprochée de la fenêtre, elle découvrit une troupe de cavaliers. — Voici Méhémed-Bey en nombreuse compagnie, — dit-elle à Kadja ; et lorsque celle-ci se précipita à la fenêtre pour vérifier l’exactitude de ce rapport, son visage exprimait le mécontentement, la colère et l’effroi, au lieu de la joie et de l’amour que l’on était en droit d’y chercher. Habibé, de son côté, paraissait radieuse ; mais les rôles changèrent