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esclaves fugitifs, est tout en faveur du sud. Jamais on n’a mieux dupé un parti avec ses propres principes qu’on n’a dupé les whigs par le vote de ce bill. Sur quels argumens s’appuyaient-ils, tous ces hommes du nord, whigs, free soilers, abolitionistes, pour prouver qu’on avait le droit de porter la main sur l’esclavage ? Ils s’appuyaient sur les principes fédéralistes, sur le pouvoir que possède le gouvernement central de régler dans chaque état les questions qui intéressent la nation tout entière. Et sur quoi s’appuyaient les hommes du sud, sinon sur les principes opposés, sur le droit de chaque état à se gouverner lui-même ? Dans ce bill des esclaves fugitifs, le nord a prêté au sud ses propres argumens et a rivé plus fortement les chaînes des esclaves au moyen de ses principes libérateurs. À partir du bill sur les esclaves fugitifs, l’esclavage a cessé d’être l’institution particulière, comme on le désigne communément en Amérique ; il a été reconnu pour ainsi dire officiellement par l’état comme une institution nationale. Oh ! complication et confusion engendrées par la duplicité et la fourberie de l’esprit de parti ! Le gouvernement général de l’Union, qui, selon ces state rights men du sud, n’avait pas le droit de toucher aux institutions particulières aux états, a prêté sa main à ceux mêmes qui la repoussaient, et l’a retirée à ceux qui la sollicitaient ; il a mis à la disposition des propriétaires d’esclaves ses tribunaux, ses magistrats, ses officiers fédéraux. Non-seulement toute action sur le sud a été refusée au nord, mais il ne lui a plus été permis d’être gouverné en vertu de ces principes de droit des états que le sud invoquait si fort naguère. On est venu le troubler dans sa liberté et dans sa paix, et il a dû supporter le spectacle d’hommes du sud venant à chaque instant blesser ses instincts les plus chers. Ainsi dupé par lui-même, par ses principes, par ses orateurs et ses hommes d’état, dupes eux-mêmes de la nécessité de conserver l’union et d’éviter la guerre civile, le nord s’est soumis en murmurant et en rechignant. Le bill des esclaves fugitifs a été strictement appliqué, et les citoyens de New-York et de Boston ont prêté main-forte aux officiers fédéraux ; les abolitionistes trop turbulens ont été désavoués, les prédicateurs trop libéraux traités d’anarchistes et de lunatiques. Le nord, tout mécontent qu’il fût, semble avoir cru un instant que cette concession forcée qu’on lui avait arrachée serait la dernière, et il avait consenti à une rigoureuse application du bill relatif aux esclaves fugitifs, sur la foi des auteurs du compromis et du grand orateur du Massachusetts, Daniel Webster, qui avaient déclaré que cette mesure était en principe et en substance une solution définitive de la question de l’esclavage.

À peine cependant cette concession définitive avait-elle été arra-