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lons du sud ont légué à leurs descendans toute la violence secrète de leur sang et tout le mépris dissimulé de leur âme.

Ajoutez à cette influence occulte du sang dans le sud deux causes plus abstraites, mais très puissantes aussi, et cela dans toutes les parties de l’Union, un certain ravivement du sentiment biblique et l’absence de sympathie humaine pour la race noire. Les abolitionistes du nord, comme Mme Stowe l’avait fait remarquer avec beaucoup de finesse dans le personnage de miss Ophélia, ne mettent pas dans cette cause cette chaleur du cœur et cette charité réellement chrétienne qui font triompher de tous les obstacles. Ils combattent l’esclavage en vertu de principes abstraits et par amour de la justice, mais nullement par commisération pour la race opprimée et par impulsion sympathique. Un seul fait suffit à le prouver. Depuis tant de longues années que cette question s’agite, le nord a produit des avocats fougueux de la liberté, des pamphlétaires habiles, des orateurs diserts ; il n’a pas produit un Wilberforce ! Et cependant l’occasion était belle pour un homme de charité et de foi ! Un seul prédicateur, le bon docteur Channing, a trouvé quelques-uns de ces accens élevés qui savent le chemin de l’âme ; mais ce n’était que par occasion. L’esclavage n’était pas l’unique préoccupation de son esprit et le tourment principal de son cœur. Enfin nous avons signalé le sentiment biblique, et sur ce point nous glisserons légèrement. L’esclavage ne fut si détesté au moment de la révolution et dans les années qui suivirent que par suite de la domination des principes généraux d’humanité que le xviiie siècle avait mis dans le monde. La révolution américaine fut le produit d’un mélange de protestantisme et d’idées du xviiie siècle, d’un protestantisme épuré, raffiné, sans l’âpreté primitive, et d’idées du xviiie siècle sans l’impiété et l’irrévérence qui les rendirent si néfastes chez nous. Ce mélange original, où les idées morales humaines étaient corrigées de ce qu’elles ont de trop aventureux par les idées religieuses, et où les idées religieuses étaient corrigées de l’intolérance qui leur est propre par les idées de morale sociale, constitue l’idéal de la république américaine à son origine. C’est ainsi que la république américaine a pu être nationale, parce qu’elle s’appuyait sur le fondement religieux du pays, et en même temps être saluée par tous les peuples comme un triomphe général de l’humanité, parce qu’elle s’appuyait aussi sur des principes qui ne sont point locaux ou nationaux, mais qui intéressent les hommes de toutes les races et de toutes les religions. Malheureusement ce mélange salutaire et véritablement civilisateur est dissous. Les idées du xviiie siècle n’ont plus en Amérique l’importance qu’elles y ont eue autrefois. Cet élément philosophique et laïque si raffiné et si humain a été remplacé par un esprit d’indé-