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choses soient allées très loin pour qu’un planteur ait à répondre de sa conduite devant la justice, lorsqu’il ne s’est rendu coupable d’un crime que sur sa vivante propriété. Le principe de la composition barbare, que beaucoup d’historiens ont voulu considérer comme un respect de la vie humaine, et qui en vérité n’exprime rien que le mépris des populations vaincues, ainsi que le témoignent les différens tarifs pour le rachat des crimes, existe dans le sud. Lorsqu’un blanc a par hasard, dans un moment de colère ou pour un motif quelconque, tué l’esclave d’autrui, il lui est possible d’éviter l’action de la justice en payant au propriétaire une somme d’argent. Pour mille dollars, on peut impunément se passer la fantaisie d’un meurtre, même lorsque ce meurtre a été accompli en plein soleil et en présence de nombreux témoins. Pendant que M. Parsons était à Darien (Georgie), un meurtre fut accompli par un blanc nommé Wilson sur un noir nommé Cuffee, très habile ouvrier charpentier, esclave d’un maître assez accommodant, auquel il payait une redevance annuelle pour le laisser travailler librement à son métier. Ce Wilson avait employé Cuffee, et lorsque le règlement des comptes arriva, il refusa de lui payer le salaire convenu. Le noir lui reprocha sa déloyauté ; Wilson se jeta sur lui et l’accabla de coups en présence d’une foule immense, qui restait spectatrice impassible de cette scène. Cuffee se laissa battre, les lois ne permettant pas à un noir de lever la main contre un blanc, et il se contenta de dire : « Monsieur Wilson, si je n’étais pas un esclave, je n’aurais pas enduré une minute un tel traitement. » Wilson, furieux, tire ses pistolets et tue l’esclave à bout portant. Le maître de Cuffee commença les poursuites ; mais Wilson lui paya comme compensation de sa propriété détruite une somme de mille dollars, et l’affaire en resta là.

Ainsi il n’y a pas de justice dans le sud pour les esclaves : non-seulement ils n’ont pas de recours contre la tyrannie, mais cette satisfaction morale que la société a toujours cru utile de donner aux principes de la justice n’est point accordée, lorsque la victime n’est qu’un homme de race africaine. La société punit le crime pour assurer sa sécurité, mais dans les états du sud elle ne se sent point ébranlée par les crimes commis sur les nègres ; au contraire chacun de ces crimes la cimente, dirait-on. D’année en année, ce mépris de la justice grandit d’une manière effrayante, et ce n’est que dans ces derniers temps qu’a commencé à se produire le fait horrible que nous allons signaler. Les propriétaires d’esclaves, à mesure que le nombre des esclaves fugitifs est devenu plus grand, ont cru utile d’entourer leur pouvoir de plus de terreur. Ces hommes, qui étaient déjà au-dessus de la justice, se sont attribué toutes les prérogatives du magistrat, et se sont mis, au nom de leurs intérêts, à imposer