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ses momens de rage, faisait passer sa colère en coupant un doigt à une esclave, ou en lui faisant quelques déchirures dans la chair avec un couteau ? La malheureuse esclave qui avait subi plusieurs fois cet affreux traitement était une vieille négresse qui se rappelait les jours de la révolution, et que son âge aurait dû préserver de telles violences. Le même homme qui avait mutilé cette vieille femme dans ses accès de délire n’était rien moins qu’inhumain ; dans ses momens lucides, il était doux et bon, et il avait conservé pour une négresse qui l’avait soigné dans son enfance toute l’affection d’un fils, Il l’aimait sans réserve, et rien dans sa conduite avec elle ne rappelait la différence de condition et le préjugé de race ; mais il était violent, et l’institution de l’esclavage lui permettant de tailler de la chair humaine au lieu de tailler des bûches de bois pour épuiser la fougue de ses passions, il était devenu par degrés indifférent aux souffrances qu’il faisait subir. Il semblerait que si le propriétaire d’esclaves est cruel, c’est simplement par nécessité et pour prévenir le désordre ; mais il n’en est pas toujours ainsi, et rien n’est plus anarchique parfois que ses explosions de monomanie furieuse. Les livres que nous avons sous les yeux contiennent plusieurs faits qui sont de véritables insurrections contre l’autorité et le genre de gouvernement que les planteurs ont établi eux-mêmes et ont intérêt à faire respecter. S’il est un personnage qui doive être craint et respecté dans une plantation, c’est évidemment après le maître le surveillant et l’intendant du travail, et généralement il l’est encore plus que le maître lui-même. Un planteur de la Caroline du sud avait eu l’idée de prendre pour overseer un de ses esclaves à qui sa haute stature et sa force herculéenne avaient fait donner le nom de redouté (dread). C’était une heureuse idée, et qui, appliquée avec intelligence et discernement, pourrait alléger bien des maux et corriger bien des duretés de l’esclavage. L’overseer noir serait généralement moins dur pour ses frères que le blanc ; l’esclave serait, selon toute probabilité, plus honnête et plus zélé que l’homme à gages. Le travail n’en souffrirait pas, une des qualités de la race noire étant, comme on sait, une certaine fidélité animale, canine, tout à fait précieuse pour la surveillance et la sécurité des intérêts du maître. Dread s’acquitta de ses fonctions à son honneur et avec une intelligence parfaite. Les esclaves étaient mieux traités, et le travail s’accomplissait aussi régulièrement qu’on pouvait le désirer. Les voisins l’accusèrent d’orgueil et démontrèrent au planteur le danger qu’il y avait à laisser à un esclave un aussi grand pouvoir. Son maître céda au préjugé, et le contraignit à travailler comme les autres esclaves, dure humiliation pour le surveillant, qui se soumit pourtant sans murmurer à cette condition tyrannique. À partir de ce moment, le maître ne cessa de le harceler, de le chica-