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continuelle de nouveaux capitaux, par l’application immédiate des capitaux nouvellement formés à des emplois reproducteurs, et par leur juste et sage distribution entre les placemens à court terme qui secondent les évolutions des fonds de roulement et les placemens fixes qui doivent augmenter la puissance des agens productifs. Les capitaux nouveaux ne se forment d’ailleurs que par l’accumulation des épargnes prélevées sur les profits. Or, si l’on observe l’action de ces diverses lois économiques pendant l’année dernière, il est manifeste qu’elle a été moins heureuse que dans les années précédentes. Le haut prix des denrées alimentaires, quand il dépasse le prix normal de 50 ou 60 pour 100, peut être considéré comme un obstacle des plus graves à l’accroissement ordinaire des capitaux. Il n’est pas douteux que la moyenne des profits habituels de l’industrie n’en ait été sérieusement affectée depuis deux ans[1]. On peut donc affirmer que la formation du capital nouveau n’a pas atteint ses proportions naturelles. Passons aux applications qu’a dû recevoir ce nouveau capital. Ici nous rencontrons la guerre, qui, en France et en Angleterre, en a absorbé la plus grande partie au moyen des augmentations d’impôts et des emprunts. Or le capital consommé par la guerre est un capital détruit; c’est un capital qui n’a servi qu’une fois et qui est soustrait pour toujours aux emplois reproducteurs. La somme sur laquelle l’industrie et le commerce devaient compter pour accroître leur capital fixe et leur capital de roulement, déjà réduite par la diminution des profits et des épargnes, a donc été plus gravement entamée par les dépenses de la guerre; mais ce qui est resté de capital disponible à leur usage a-t-il été encore convenablement réparti entre les placemens à court terme qui alimentent le crédit commercial et les placemens fixes qui alimentent le crédit commanditaire? Nous n’oserions l’affirmer, au moins pour ce qui concerne la France. Il existe, dans les époques de rareté du capital, une concurrence naturelle entre ces deux ordres de placemens qui se disputent les capitaux, insuffisans pour les satisfaire tous deux à la fois. Les grandes entreprises qui se sont établies chez nous depuis trois ans par le crédit commanditaire n’avaient point cru devoir tenir compte des accidens qui pourraient réveiller cette concurrence, et surtout d’un accident tel que la guerre. Les perspectives de ces entreprises avaient attiré vers elles des capitaux distraits à l’origine sans souffrance des emplois du crédit commercial,

  1. Dans sa brochure sur la crise monétaire, où il juge la situation actuelle avec une intelligence très exercée des faits et des lois économiques, M. Muret de Bort tire une conclusion semblable des circulaires où à la fin de l’année chaque industrie en Angleterre résume les phases qu’elle vient de parcourir; les circulaires de 1855 s’accordent à constater la diminution des profits.