Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande guerre, est-ce celle qui fait beaucoup de victimes et qui coûte beaucoup d’argent? Hélas! la guerre que nous venons de faire n’offre malheureusement que trop de raisons pour être qualifiée de grande. C’est presque quatre milliards qu’il en coûte pour deux ans à la France et à l’Angleterre seulement; c’est six ou sept cent mille hommes tués, blessés, mutilés, mis hors de combat par le fer, par le feu ou par les maladies, qu’il en coûte à la Russie, à la Turquie, à la France, à l’Angleterre, au Piémont : n’est-ce donc pas assez pour deux années de guerre? Ou bien encore la grande guerre, est-ce celle seulement qui produit de grands résultats? N’est-ce pas un assez grand résultat que la Russie réduite, après la prise de Sébastopol, à accepter les conditions des vainqueurs, et espère-t-on nous prendre pour dupes lorsqu’on nous dit qu’elle se rend seulement à la voix plaintive de l’humanité? Quant au reste, le point où nous en sommes répond sans doute à la question qu’on nous adressait en nous demandant ce que nos soldats allaient faire à Sébastopol; ils allaient y poursuivre le but de la guerre et conquérir la paix.

Mais passons à des considérations plus sérieuses et plus délicates. En soumettant notre nouvel établissement militaire à une épreuve faite sur une grande échelle, la campagne de Crimée n’a pas seulement rapporté de la gloire à nos armes, elle a été aussi une mine féconde d’enseignemens. Elle a prouvé, pur des faits qu’il est impossible de contester aujourd’hui, que notre armée, telle qu’elle a été organisée par le gouvernement parlementaire et instruite par la guerre d’Afrique, est devenue, si l’on tient compte de toutes les nécessités auxquelles une armée doit suffire, la première de l’Europe. Il est peut-être certains détails que l’on peut trouver ailleurs égaux ou même préférables à ce qu’ils sont chez nous, mais dans l’ensemble il parait difficile de mettre en doute notre supériorité. Considérant ce que doit être une armée et les innombrables services qu’elle doit représenter dans son unité multiple, l’armée française est la mieux liée dans toutes ses parties que l’on puisse citer, la plus mobile, la plus facile à fractionner et à réunir, celle qui se prête le plus aisément à toutes les combinaisons, celle qui a reçu de ses lois et de ses règlemens organiques la plus grande puissance pour se suffire à elle-même dans toutes les éventualités et au moyen des rouages les plus simples, les mieux appropriés au caractère national. Dans toutes les hypothèses, ce sont là des conditions excellentes; mais dans l’hypothèse d’une guerre offensive, lorsqu’il faut subvenir par son industrie à une foule inévitable de lacunes, ce sont des qualités incomparables. On a dit, et avec raison, que si la civilisation disparaissait du reste du globe, on la retrouverait presque tout entière dans une division française, comme elle est