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germes d’où aurait pu sortir à une époque plus ou moins rapprochée l’établissement d’une grande puissance maritime dans la Méditerranée; c’est quelque chose de faire entrer cette situation dans le droit public de l’Europe. Il est vrai que dans de certaines prévisions cela est précisément regardé comme un mal, presque comme une faute; mais je ne saurais reconnaître ni la justesse, ni la moralité de ces prévisions-là. Quoi qu’on fasse, il n’y a qu’un peuple en Europe qui soit notre allié sincère et loyal : c’est le peuple anglais, et je ne saurais comprendre ce qu’il peut y avoir de moral ou d’habile à diriger notre politique dans le sens des éventualités de coalition que nous pourrions former un jour contre lui. Sans doute nous pourrons avoir querelle avec l’Angleterre pour quelque projet de conquête, mais nous ne nous brouillerons jamais avec elle pour tout ce qui est le progrès de nos mœurs, de nos institutions, de nos libertés, pour tout ce qui est la conséquence morale de notre grande révolution, pour ce qui fait notre honneur et notre danger dans le monde. Le peuple anglais est le seul qui, par le développement de sa civilisation, par ses arts, par ses lumières, par le libéralisme de son état social, ne craigne rien de l’instabilité de notre situation intérieure, et envisage toutes les vicissitudes de notre politique sans peur et sans haine pour nous. Partout ailleurs nous n’avons que des amis sans force ou des ennemis puissans qui pourront peut-être s’allier à nous pour des intérêts d’un jour, mais qui ne voient dans la France qu’un foyer de peste et d’incendies. Renonçons à nous persuader que nous sommes aimés, chéris, adorés partout; c’est une niaiserie et rien de plus. Il ne faut même pas croire à l’attachement de ceux que nous avons comblés de nos bienfaits : l’exemple de la Grèce, le rôle qu’elle a joué dans cette dernière guerre est là pour nous faire sentir le gré qu’on peut nous savoir du sang que nous avons versé, des millions que nous avons dépensés dans les intentions les plus généreuses, avec le désintéressement personnel le plus absolu. A plus forte raison ne faut-il pas nous laisser prendre aux démonstrations de sympathie extérieure qui pourront nous venir de ceux qu’on appelle quelquefois avec affectation les Français du Nord. Il n’y a pas qu’un peuple qui s’appelle ainsi, et j’en pourrais citer qui ont certainement plus de goût pour nous que les Russes. Ce n’est pas que je veuille mettre en question l’excellence des traitemens dont nos prisonniers ont été l’objet de leur part, ou la sincérité de la politesse qu’ils ont en toute occasion témoignée à nos soldats sous les murs de Sébastopol : les officiers russes sont, je le reconnais avec plaisir, des hommes bien élevés, à qui l’on ne saurait contester ni la bonté du cœur ni les sentimens du chrétien; mais ce sont aussi des gens dont l’opinion ne compte pas dans leur pays, et que leur gouvernement mènera toujours à la