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des puissances absolutistes, elle nous a retirés de ces congrès où nous figurions comme suspects, comme des vaincus traînés au char des triomphateurs. Aujourd’hui les rôles sont bien changés ; s’il y a un vaincu, ce n’est pas la France, et dans la décision qui a fait transporter de Vienne à Paris le lieu de réunion du congrès, nous pouvons voir sans trop de vanité un hommage volontaire ou forcé qu’on rend à la puissance qui a joué le plus grand rôle dans la guerre. C’est un résultat dont nous pouvons être fiers à bon droit, mais aussi à la condition de ne pas oublier que, dans tout ce que nous avons fait pour nous relever de la triste position où les traités de 1815 nous avaient réduits, nous n’avons trouvé, quand nous n’agissions pas seuls, d’utile et de loyal concours que dans l’alliance anglaise, et qu’elle nous a considérablement aidés à atteindre le point où déjà nous sommes arrivés.


II.

Je crois qu’on a calomnié l’Angleterre en cherchant à insinuer, comme on l’a fait, qu’elle apportait dans les négociations pacifiques le désir de les faire échouer. La guerre est le goût et quelquefois la nécessité du despotisme ou de la démocratie, qui est essentiellement, comme disait M. Royer-Collard, guerrière et banqueroutière ; l’Angleterre est libre et n’est pas une démocratie. Elle déteste la guerre, et les hommes éclairés qui président à son gouvernement sont trop élevés au-dessus des passions des masses pour n’avoir pas horreur de ce fléau et de tous ceux qu’il entraîne après lui : la dépopulation, la misère, le fardeau des dettes publiques, le culte de la force matérielle, le dommage causé aux progrès de tous les arts qui honorent l’humanité, ou qui contribuent à élever la moralité et la condition de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse. Ce n’est qu’avec la plus profonde répugnance que l’Angleterre se laisse aller à faire la guerre ; il faut qu’elle y soit poussée par le sentiment irrésistible de ses intérêts ou par un de ces soulèvemens d’opinion qui sont d’autant plus puissans chez elle que son organisation politique est admirablement combinée pour que l’opinion publique soit toujours spontanée et sincère et ne soit jamais surprise, pour qu’elle ait toujours le temps de s’éclairer, pour qu’elle n’éclate jamais sur la société comme un ouragan imprévu, mais pour qu’elle se produise au contraire comme l’inondation qui monte insensiblement dans la plaine et finit par tout emporter, les chaumières et les palais, les grands et les petits, les forts et les faibles. Ce qui vient de se passer sous nos yeux nous en a fourni un remarquable exemple. Si l’on prenait aujourd’hui la peine de relire les pièces officielles, les articles de journaux, les pamphlets qui ont paru, les discours qui ont été prononcés dans