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Kamiesh ou de Balaclava qu’un bataillon qui montait la garde à Odessa n’était près de Sébastopol ! Grâce à nos chemins de fer et à nos bateaux à vapeur, plus d’un régiment est passé de France en Crimée en moins de douze jours, tandis que pas un corps russe n’a pu se rendre d’Odessa à Sébastopol en moins d’un mois. Nous le savons par le témoignage de nos prisonniers, qui, pour franchir cette distance, avaient à fournir trente-trois étapes, c’est-à-dire trente-trois journées de marche des plus pénibles, malgré la bonne volonté que mettaient les Russes à leur épargner toute souffrance inutile.

Un des enseignemens les plus précieux qui ressortent de cette guerre, c’est l’avantage qu’a donné la supériorité de leur industrie aux puissances occidentales. Sous ce rapport aussi bien que sous les autres, on peut dire que leur triomphe a été celui de la civilisation, et il montre combien l’empereur Nicolas s’était trompé en sacrifiant toutes les ressources de son empire au développement de son état militaire. Combien de ses soldats n’eût-il pas sauvés, s’il avait pu mettre un chemin de fer à leur disposition ! Quelle facilité n’aurait-il pas eue pour nous écraser sous le nombre, si, dans les premiers jours après notre débarquement, il avait possédé des moyens de transport puissans et rapides! On dit qu’aujourd’hui le gouvernement de l’empereur Alexandre est très pénétré de ces vérités, et qu’il se propose de consacrer, pendant la paix, tous ses efforts à développer les ressources productives, l’industrie et le commerce de la Russie. Nous aimons à croire que ce ne sont pas de vains projets, inspirés seulement par la circonstance, et qui doivent s’évanouir avec elle. S’ils sont sérieux, ils impliquent nécessairement aussi un désir sérieux de la paix, qui seule permettra de faire appel aux capitaux étrangers, et ce sera de toutes façons une chose excellente. La richesse générale du monde y gagnera, et la Russie plus que personne, son peuple surtout. En effet, sans s’occuper des autres raisons qui le conseillent aussi, l’affranchissement des paysans devra sortir de ce mouvement salutaire, car, pour ne parler qu’au point de vue économique, le servage est un mode d’exploitation barbare auquel il faudra renoncer, si l’on veut réellement entrer dans ce nouvel ordre d’idées. Occupée de pareils soins, la Russie ne songera plus alors à troubler la paix de l’Europe; elle deviendra un membre utile et respecté de la grande famille.

Avons-nous donc tort de croire que la Russie doit désirer et désire en effet sincèrement qu’après une guerre où elle n’a rencontré que des revers, mais où la fermeté de ses soldats a cependant sauvé l’honneur de ses armes, la paix soit rétablie dans le monde? Sans doute, pour une puissance habituée depuis si longtemps à traiter de si haut avec les autres, et qui s’était enivrée de rêves si ambitieux, il est dur d’avoir à signer le traité que l’on demande