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leur emprunte des lumières. Le jansénisme plonge dans les profondeurs des misères humaines, et Pascal éperdu invoque dans ses extases le Dieu de Jacob. La philosophie, quoique indépendante, est toute religieuse. Descartes consume sa vie à prouver Dieu; Malebranche et Leibnitz démontrent la sagesse du gouvernement de Dieu dans toute la nature; Spinoza lui-même, qui passe pour athée, voit dans l’amour de Dieu le dernier fondement de la morale. La poésie, les arts suivent ce mouvement : Milton chante le Paradis perdu, Corneille et Racine écrivent Polyeucte et Athalie, et Lesueur peint saint Bruno. Mais à la fin du siècle, l’équilibre se rompt, et une intolérance aveugle prépare une révolte sans exemple. Le XVIIIe siècle est le déchaînement de la cité de la terre, qui ne veut plus être libre, mais souveraine. La cité de la terre n’attaque plus seulement la cité divine sous la forme de la religion catholique ou chrétienne, mais en elle-même ; elle écarte Dieu du trône de l’univers comme de l’empire de la société; elle veut refondre toutes les lois, toutes les idées, tous les systèmes, et, aspirant à un avenir plein de mystérieuses promesses, elle s’engage dans un duel sanglant contre elle-même, où la fureur n’a d’égale que l’illusion.


II.

Ce triomphe de la cité de la terre au XVIIIe siècle est-il un incident passager du drame ou un dénoûment définitif? Voilà le grand problème de notre époque et la cause secrète de toutes nos agitations.

Dans les premières années qui suivirent la révolution, il semblait qu’un esprit nouveau allait séparer complètement le XIXe siècle de l’âge précédent. On commençait à se lasser d’une philosophie étroite qui croyait pouvoir tout expliquer dans l’âme par les métamorphoses de la sensation. Les grandes catastrophes politiques, en ébranlant les âmes, les existences, les opinions, avaient chassé cet esprit de légèreté et d’ironie qui avait pu convenir à une société ennuyée et desséchée. On était disposé à l’émotion, à la tendresse, à la mélancolie. Les abstractions de Condillac et les plaisanteries de Voltaire n’étaient plus guère de saison. Il fallait des idées plus graves à ces générations si tragiquement éprouvées. De là un retour presque universel aux pensées religieuses. Les uns voulaient renouer avec le XVIIe siècle, et se reprendre au catholicisme; les autres, moins arrêtés dans leurs vues, aspiraient à quelque chose de nouveau. Les uns et les autres croyaient à un ordre de faits supérieurs à la vie terrestre, et qui nous rattachent à un autre monde. On avait donc lieu de croire que ce réveil religieux allait être le caractère du siècle qui commençait.

Le premier ouvrage qui témoigna, par son éclatant succès, de