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problème, et lorsqu’on le croyait à l’introduction de la science, il possédait en réalité les dernières conclusions. D’ailleurs il suffit de se rappeler ses dernières paroles publiques prononcées devant des jeunes gens à une fête scolaire, les plus belles sans aucun doute que notre temps ait entendues en faveur de l’immortalité de l’âme. Il fit à ces enfans l’histoire de la vie, de ses immenses espérances, de ses inévitables désappointemens; il leur peignit avec une éloquence courageuse ces rivages glacés où il se sentait entraîné irrésistiblement, mais au-delà desquels il entrevoyait l’éternel espoir. Quiconque soupçonnerait dans ce beau discours un seul mot donné aux convenances politiques ou à une banale édification ne sait guère reconnaître le langage de l’âme. Ce qui est d’ailleurs plus décisif encore que quelques paroles publiques, même les meilleures, ce sont les paroles secrètes déposées et recueillies dans une correspondance intime. Est-ce un sceptique qui pouvait écrire: « En se retirant de son cœur dans son âme, de son esprit dans son intelligence, on se rapproche de la source de toute paix et de toute vérité qui est au centre, et bientôt les agitations de la surface ne semblent plus qu’un vain bruit et une folle écume?... La maladie est certainement une grâce que Dieu nous fait, une sorte de retraite spirituelle qu’il nous ménage pour nous reconnaître, nous retrouver, et rendre à nos yeux la véritable vue des choses. » Ces grandes paroles ne précédèrent que de peu de temps la mort de M. Jouffroy, cette mort où il montra la placidité d’un philosophe antique unie à une onction chrétienne qu’il avait retenue de sa première éducation.

Cette esquisse rapide des mouvemens religieux de notre siècle serait incomplète si on omettait le protestantisme, par cette seule raison qu’étant en France en minorité, il n’a pas joué un rôle considérable dans nos débats intellectuels. Il n’en est point ainsi en Angleterre et en Amérique, en Suisse et en Allemagne. Dans ces divers pays, il a eu des vicissitudes variées. On peut y distinguer trois tendances qui correspondent à ce que nous appelions autrefois en politique la droite, la gauche et le centre. D’un côté, le protestantisme, effrayé de la philosophie du dernier siècle et de ses propres excès, a incliné du côté de l’église romaine et s’est inspiré de plus en plus de son esprit. Ce mouvement a même été poussé si loin dans l’église anglicane, qu’il s’est converti en une adhésion déclarée de quelques personnages savans et illustres aux dogmes du catholicisme. D’un autre côté, le protestantisme, armé de la critique historique et de la dialectique, a poussé si loin l’esprit d’indépendance, qu’il a franchi les bornes du dogme chrétien et s’est précipité dans le rationalisme. C’est en Allemagne que cette tendance s’est déclarée avec le plus de force. La Vie de Jésus a été le plus hardi manifeste de la gauche protestante. En Amérique, pays moins spéculatif que l’Allemagne, le rationalisme