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protestant a eu un caractère tout particulier : il a ramené la religion à la morale, il s’est retranché aux dernières limites du dogme révélé, sans les franchir cependant : c’est un déisme chrétien assez semblable à celui de la profession de foi du vicaire savoyard. Entre ces tendances extrêmes, qui paraissent la dissolution du protestantisme, quelques esprits vigoureux restent fidèles à la tradition et conservent les deux principes constitutifs du dogme réformé, la révélation et le droit d’examen, principes que les catholiques d’une part, les rationalistes de l’autre, déclarent inconciliables, mais que l’habitude, la tradition, un sens droit et une modération naturelle protègent dans la pratique, quelles que soient les difficultés de la théorie.

Le protestantisme pur et traditionnel, beaucoup plus persistant qu’on ne se le figure, car il s’appuie sur les mœurs, peut compter comme l’un de ses meilleurs représentans M. Vinet, de Lausanne. Il y avait deux personnes dans M. Vinet : un critique fin, agréable, assez mondain, aimant la littérature pour elle-même, et un penseur austère, méditatif, presque mystique. Rien ne nous le peint mieux que son livre sur Pascal, où il semble qu’il se soit défendu lui-même en défendant l’auteur des Pensées contre un illustre écrivain. Il a nié qu’il y eût deux hommes dans Pascal, un philosophe sceptique et un chrétien croyant. Selon lui, Pascal est un : il est sceptique en philosophie, parce qu’il est chrétien; mais il ne s’est pas fait chrétien, parce qu’il est sceptique. Le christianisme prend l’homme tout entier; il ne s’ajoute pas à autre chose, il est le fond. On ne croit point à Dieu d’abord et au Christ ensuite, mais on croit au Christ, et par là même on croit à Dieu. Tout chrétien est sceptique sur tout ce qui n’est pas le christianisme. La foi, en délivrant du péché, délivre de l’erreur et de l’ignorance. Doctrine parfaitement conforme à l’esprit de Luther, qui eût été sans doute bien étonné, si on lui eût appris qu’il était venu émanciper la raison, mais doctrine trop contraire à l’esprit de notre siècle pour le toucher fortement! Il n’est donc point étonnant que ces idées sérieuses et profondes, mais sans largeur, aient été peu remarquées et peu débattues.

Tels ont été de nos jours les efforts qu’a faits la cité de Dieu pour regagner le cœur des hommes et les attirer de nouveau vers le monde invisible. Les doctrines sont diverses, la pensée est une. Rapprocher les hommes de plus en plus de l’éternelle vérité et les rapprocher les uns des autres dans l’unité religieuse, voilà ce qu’ont voulu en même temps, par des moyens quelquefois opposés, quelques âmes nobles et généreuses, attristées par les catastrophes de notre siècle, cherchant dans un monde supérieur l’oubli des misères de leur temps et de leurs propres misères; mais tandis qu’elles en appelaient à une cité invisible, vers laquelle chacun s’acheminait par des voies diverses, le siècle suivait son cours sans les écouter, et de toutes parts