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on courait porter ses offrandes et ses sacrifices à la cité de la terre. Dans cette foule empressée d’adorateurs, on trouve confondus les savans et les ignorans, les théoriciens et les praticiens, les rétrogrades et les révolutionnaires, les calculateurs et les utopistes.

Au moyen âge, les sciences étaient sous l’empire de la théologie. Quand vint l’heure de l’affranchissement, elles conservèrent toujours le principe d’une intelligence suprême, souveraine ordonnatrice de l’univers. La physique de Descartes, de Newton, de Leibnitz surtout, invoque continuellement des principes de l’ordre religieux. Au XVIIIe siècle, tout changea : les sciences s’affranchirent de toute supposition empruntée à la métaphysique, et rejetèrent toute méthode qui n’est point l’induction ou le calcul. Le dernier mot de la méthode scientifique du XVIIIe siècle a été dit par Laplace à l’empereur Napoléon, qui lui reprochait d’avoir écrit la Mécanique Céleste sans prononcer le nom de Dieu : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse. » Si les sciences s’étaient bornées à s’interdire à elles-mêmes toute excursion en dehors de leur domaine propre, il n’y aurait rien à dire, car toute science a le droit de se circonscrire et d’affirmer peu pour affirmer sûrement; mais on a entendu quelquefois ce mot de Laplace dans un sens bien plus étendu, et ce n’est pas seulement dans le domaine de la physique, c’est en général et absolument que l’on a déclaré n’avoir plus besoin de cette vieille hypothèse, que n’avaient point dédaignée Kepler, Leibnitz et Newton. Il faut voir avec quelle ironique pitié quelques savans parlent des efforts de la raison pour dépasser la nature, et avec quelle confiance ils se vantent d’avoir chassé de la science le surnaturel, n’entendant point par là le miraculeux, mais l’invisible. Les mathématiciens demandent à le calculer, les physiciens à le peser, les physiologistes à le disséquer, et ils ne voient point que s’il existe, c’est à la condition de n’être ni calculable, ni mesurable, ni décomposable. Les sciences méritent sans doute l’admiration; elles sont un témoignage extraordinaire de la puissance de l’esprit humain, elles ont fait tomber bien des préjugés, elles rendent chaque jour de nouveaux services aux riches et aux pauvres, augmentent les plaisirs des uns, diminuent les souffrances des autres. Malheureusement l’orgueil les égare. Quand certains savans veulent porter un coup mortel à la métaphysique, ils disent que c’est une affaire de sentiment. C’est comme s’ils disaient : C’est un rêve, un nuage, un je ne sais quoi qui ne regarde pas les hommes sérieux. Si quelques esprits courageux ne résistent point à cette théocratie scientifique, c’en est fait du bon sens public. Le bon sens n’a point attendu l’invention de la vapeur et de l’électricité. Les vérités morales, qui sont très vieilles, seront toujours les meilleures, et les anciens, qui