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VII. — état social.

Nul code dans le monde n’est si riche en maximes chrétiennes que le règlement organique imposé par la Russie. Le ton est presque bucolique, quand il s’agit des laboureurs contribuables. Que d’insinuations et d’amour pour leur arracher l’âme après ce préambule !

Au milieu de ces lois, enveloppées de tant de barbarie, on découvre une loi qui paraîtra étrange à un homme de l’Occident. La voici : « Le propriétaire est obligé de donner à tout paysan, sans distinction, et indépendamment du bétail, une faltche et demie de terre labourable, quarante pregines de prairie et vingt pregines de pâturages. » Dans certains cas, cette portion comprend les deux tiers de la propriété. Il y a là tout un système de législation qui appartient en propre aux provinces danubiennes ; il est né de leur histoire. Le règlement de 1829 l’a consacré et ne l’a point créé. De ce système suivent deux choses : l’une, que la loi reconnaît au paysan un droit primordial, inaliénable, sur une partie de la terre ; l’autre conséquence, c’est que les terres non cultivées abondent.

Ici éclateront les dissidences entre les Roumains, on n’en peut guère douter. Et quel pays n’a les siennes ? Comment interpréter, comment réaliser ce droit historique ? Un étranger pouvant difficilement intervenir avec efficacité dans une question aussi intestine, il ne reste qu’à les laisser parler eux-mêmes, en éloignant autant que possible les récriminations mutuelles.

Les uns disent : « Que l’Europe ne se méprenne pas sur nous en écoutant quelques hommes errans, sans naissance, sans foyer, heureusement proscrits de lieu en lieu. Ce sont eux qui ont parlé d’une aristocratie oppressive en Moldo-Valachie. Dieu merci, il n’en est rien. Nous ne savons ce que c’est que féodalité parmi nous. Cette barbarie de l’Occident nous est toujours demeurée inconnue. À l’origine, nous nous sommes emparés sans violence des terres désertes ; au XIIe, au XIIIe siècle, nous nous sommes partagé pacifiquement la terre, en usant des formes et de la solennité du droit romain. Ainsi rien parmi nous de pareil aux usurpations des barons du moyen âge dans l’Occident. Il est vrai que la masse des paysans a fini par se trouver dans un état voisin du servage. Comment cette révolution s’est accomplie, on ne peut le dire. D’ailleurs à qui la faute ? Le peuple chez nous est insouciant et paresseux ; le paysan a trouvé un grand avantage à se vendre volontairement, lui et sa postérité, à quelque riche voisin qui pût le protéger contre le fisc. La vente s’est faite argent comptant. Quel marché est plus sacré ? On demande aujourd’hui des réformes profondes. Lesquelles ? Ne sait-on pas que