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REVUE MUSICALE


Nous voici enfin en pleine moisson musicale, ou du moins en pleine floraison de drames et de comédies lyriques, ce qui n’est pas toujours la même chose, car on peut écrire un opéra en trois actes, par exemple, sans y mettre une note de véritable musique. C’est un problème ingénieux qui a été résolu de nos jours, et qui vaut bien celui de la pisciculture, expérimenté tout récemment sur le lac du bois de Boulogne. A qui doit-on l’invention de ce procédé économique avec lequel on se dispense de frais d’imagination, et qui vous conduit quelquefois tout droit à l’Institut, sans que l’opinion publique puisse chanter vos louanges sur un motif connu ? À tout le monde, et surtout à la nécessité, mère de l’industrie : dura lex, sed lex, comme disent les jurisconsultes. On est homme avant tout, on est père de famille souvent, et il faut vivre toujours. Or l’inspiration, et surtout l’inspiration musicale, est une faculté capricieuse qui ne répond pas exactement aux besoins qu’on a de ses services. Dans cette occurrence, et par le temps de progrès indéfini où nous vivons, on a dû chercher un moyen de se passer de cette folle du logis, comme la qualifiaient nos aïeux, ou de la mettre à la raison comme une fille bien élevée, qui épouse aveuglément l’homme que lui destine son père. Ce moyen consiste dans un certain nombre de procédés qu’on a mis à la portée de toutes les intelligences et de toutes les bourses. C’est ce qui explique le nombre toujours grossissant des productions dites musicales dont messieurs les éditeurs commencent à s’effrayer. Aussi ils y regardent à deux fois maintenant avant de délier les cordons de la bourse pour une de ces partitions qu’on vient leur offrir toute rayonnante de succès. Ils la contemplent longtemps, ils la pèsent dans leurs mains, et procèdent à cette opération commerciale comme ces amateurs d’oiseaux qui vont au marché, et n’achètent le moindre petit merle des bois qu’après avoir examiné s’il a le bec jaune, et s’être assurés, en soufflant sur le plumage, qu’il