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Le Théâtre-Italien approche de la fin de sa campagne, qui n’aura pas été non plus très brillante. Là comme ailleurs, il manque un homme qui sache interroger l’oracle du destin. Qu’est donc devenu ce peuple d’amateurs fervens qui pendant vingt-huit ans, de 1820 à 1848, a fait la fortune du Théâtre-Italien, et qui accourait à ses fêtes avec un zèle presque religieux? Sont-ce les révolutions politiques qui l’ont dispersé? Est-ce la mode, cet oiseau mystérieux et fatidique, qui a changé de climat, ou bien les artistes qui suspendaient à leurs lèvres inspirées la foule étonnée ont-ils disparu de notre civilisation, toujours progressive? Il se peut que ces trois causes combinées aient eu leur part d’influence sur le sort du Théâtre-Italien, lequel, selon nous, ne retrouvera pas de si tôt la vogue immense dont il a joui pendant la restauration et les dix-huit années du gouvernement de juillet. Nous assistons à la fin d’une grande époque de l’art musical, et Rossini pourrait bien être le dernier compositeur d’un cycle enchanté, que l’esprit humain ne parcourra pas une seconde fois. En veut-on une preuve? On a repris cette année encore la Matilde de Shabran du divin maestro, où Mme Penco s’est substituée à Mme Bosio. Eh bien! ce que Mme Penco, qui a de la vigueur pourtant et de l’entrain, est à Mme Bosio, dont personne n’a oublié le charme et la fluidité lumineuse de style, — la musique qu’on s’efforce de fabriquer de nos jours l’est à celle qu’on ne peut plus exécuter. C’est violent, brusque et très commun. La grâce, la désinvolture, n’existent plus dans cette méthode improvisée, qui doit plus au tempérament qu’aux nuances de l’âme et de l’esprit. Ce contraste a été bien plus sensible encore à la reprise du Don Giovanni de Mozart. Toutes les fois que nous voyons se produire sur une affiche le nom de cette œuvre unique dans le monde, nous ne pouvons nous défendre d’un certain malaise. Il nous semble qu’on va exposer aux yeux indiscrets de la foule quelque chose de sacré, conspuer un idéal adoré, dévoiler un coin de notre paradis, livrer enfin aux railleries des Sancho Pança qui remplissent le parterre le héros dont ils ne comprendront jamais la divine tristesse ! Alors il nous vient à l’esprit le mot de Mozart sur l’œuvre capitale de son génie : « Don Juan, disait-il un jour, a été composé pour les habitans de Prague, pour quelques-uns de mes amis et surtout pour moi. » L’exécution a été de tous points misérable; excepté Mme Frezzolini, qui a bien l’élégance patricienne qui convient à dona Anna, et qui a dit à ravir sa partie dans le fameux trio des masques, tous les acteurs ont été au-dessous de la critique. Mme Borghi-Mamo elle-même n’a rien compris au caractère de Zerlina, cette adorable villanella, qu’elle a transformée en une paysanne lourde et senti- mentale, au lieu de lui prêter les ailes de la fantaisie qui aspire à s’envoler dans le ciel éthéré. On peut dire de don Juan ce que Joubert a dit de Platon : Il ne faut pas s’en nourrir, mais le respirer comme une essence.

Puisque nous venons de prononcer le nom de Mozart, il convient de dire un mot des fêtes qui viennent d’avoir lieu en Allemagne à l’occasion du centième anniversaire de la naissance du plus grand et du plus parfait de tous les maîtres. L’Allemagne a bien raison de se retourner pieusement vers les dieux de son passé et de retremper sa foi dans le culte des vrais musiciens, car les barbares sont à ses portes. A Berlin, à Leipzig, à Dresde et surtout à Vienne, on a célébré avec pompe, le 27 janvier, l’anniversaire de la