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plus utile et le plus ingrat des instrumens, la contre-basse! Si M. Bottesini, qui est jeune, intelligent, modeste et fort instruit, avait autant d’idées musicales que d’agilité dans les doigts et de vigueur dans le coup d’archet dont il frappe les trois cordes de sa contrebasse, il aurait composé un chef-d’œuvre. Malheureusement il n’en est pas ainsi, et la partition de d’Assiedio di Firenze n’est, après tout, que l’œuvre estimable d’un grand virtuose qui a trop entendu la musique des autres pour avoir eu le temps d’en composer avec ses propres inspirations. Dès les premières mesures de la courte introduction instrumentale qui précède le lever du rideau, on reconnaît l’influence de Meyerbeer sur l’imagination du maestro, qui doit aussi beaucoup admirer M. Verdi, car il l’imite tant qu’il peut. Ni le duo, au premier acte, entre Martelli et Michel-Ange, ni la cavatine que chante Maria, ni un autre duo pour soprano et ténor entre Maria et son amant Lodovico, morceau qui renferme pourtant une assez jolie phrase, ne sont des inspirations originales. Le finale lui-même est conçu à la manière de M. Verdi, avec cette progression de cadence qui se compose de trois grands coups d’orchestre, comme s’il s’agissait d’enfoncer un coin dans les entrailles d’un chêne vigoureux. Au second acte, dont la scène se passe d’abord dans l’atelier de Michel-Ange, on remarque un fort joli chœur qui se chante derrière les coulisses, et quelques parties du duo pour soprano et baryton, entre Maria de Ricci et le traître Bandini, fort bien représenté par la belle voix de M. Graziani. Signalons encore un très beau chœur au troisième acte et la sonorité éclatante du finale. L’instrumentation de M. Bottesini, suffisante et parfois assez colorée, n’est pas plus originale que le fond de ses idées. En général, son orchestre est sourd, les instrumens à vent sont presque toujours écrits dans la partie inférieure de leur diapason; on voit que le compositeur recherche volontiers la multiplicité des dessins épisodiques qui surchargent le discours et déroutent l’oreille; mais, avec une plus grande expérience de la scène, M. Bottesini se corrigera de ces légers défauts, si « l’astre en naissant l’a créé poète,» et s’il lui est donné de faire jaillir un jour, du fond de sa nature, une étincelle de génie que nous avons cherchée vainement dans l’Assedio di Firenze.

Mme Grisi, qui, depuis six ou sept ans, avait eu le bon esprit de ne plus se faire entendre à Paris, n’a pu résister, à ce qu’il semble, au désir de reparaître devant ces frivoles Athéniens qu’elle avait enivrés jadis de l’éclat de sa beauté et des charmes de sa splendide jeunesse. Hélas! pourquoi donc consentir à descendre de l’empyrée où vous a placée l’admiration des hommes? Il y a des pertes irréparables auxquelles il faut savoir se résigner, et Mme Grisi, qui a été l’une des grandes cantatrices de la bonne école italienne, aurait dû répondre au mauvais génie qui lui a fait commettre la faute que nous déplorons :

Statti col dolce in bocca, et non ti doglia
S’ammareggiare alfin non te la voglia.


Ce qui veut dire en prose très humble qu’il faut enfermer les souvenirs dans une cassette d’or comme un parfum qu’on respire de temps en temps pour se remémorer des jouissances à jamais évanouies.