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à la popularité, et dans laquelle Mme Miolan fait d’incroyables prouesses de vocalisation. Signalons au second acte une romance de ténor avec accompagnement de violon, les couplets de la nièce du financier Boisjoli : Sœur Agnès, qui sont spirituellement accompagnés, et surtout le boléro de Fanchonnette, qui ne quitte pas la scène, et dont on prodigue la voix délicate. Au troisième acte, on distingue un air de soprano où Mme Miolan révèle plus que de la bravoure, et le duo de la vieille, qu’elle chante avec Gaston en simulant le personnage d’une vieille tante dont il est beaucoup question dans la pièce. Ce duo et celui des cartes, au premier acte, sont les meilleurs morceaux de l’opéra de Fanchonnette, qui est écrit avec un soin et parfois avec une distinction de style dont nous n’aurions pas cru M. Clapisson capable.

Ce n’est pas que le fond des idées soit bien original et appartienne entièrement A M. Clapisson. Comme tous les compositeurs français de ce temps-ci, excepté MM. Halévy et Rober, l’auteur de Fanchonnette va puiser souvent ses effets et une partie de ses inspirations à la fontaine publique de M. Auber, qu’assiègent d’un côté M. Adam et ses élèves, de l’autre MM. Clapisson, Ambroise Thomas, suivis de M. Victor Massé, qui vient remplir sa petite coquille; mais il est juste de dire que M. Victor Massé, qui est un musicien ingénieux et délicat, parfume son breuvage d’un petit grain d’encens dont il faut lui tenir compte. L’opéra des Saisons, par exemple, renferme précisément un certain parfum de poésie agreste qui a pu ne pas être apprécié par le public, mais qu’il appartient à la critique de signaler à l’estime des gens de goût. Si d’ailleurs M. Auber laisse volontiers puiser à sa fontaine, il lui prend aussi parfois la fantaisie de fermer tous les canaux. Alors il compose pour son propre compte des morceaux comme le délicieux quatuor et l’admirable prière du troisième acte de Manon Lescaut, qui font dire aux disciples ébahis : « Le maître ne nous a pas encore donné de cette eau-là. »

L’exécution du nouvel opéra de M. Clapisson est assez soignée pour un théâtre des boulevards. M. Montjauze, qui joue avec intelligence le rôle de Gaston de Listeney. possède une voix agréable de ténor dont il se sert avec goût; mais l’événement de la soirée, c’était l’apparition de Mme Miolan-Carvalho. On pouvait craindre qu’un talent aussi fin et de si bon aloi ne fût point apprécié par un public qui venait de perdre Mme Cabel, une vraie lune de Lauderneau. Eh bien! ces tristes prévisions ne se sont pas réalisées, et si M. Le directeur de l’Opéra-Comique a eu toit de laisser sortir de sa cage un oiseau si bien appris. Mme Miolan-Carvalho a eu raison de changer de climat. Sa voix de soprano aigu, qui est aussi grêle que sa personne, est coupée en deux tronçons par une petite lande de trois ou quatre notes pilleuses; mais cette voix de serinette est d’une flexibilité prodigieuse où l’art a au moins autant de part que la nature. Mme Miolan-Carvalho est du très petit nombre de cantatrices modernes qui ont du style, et qui savent, comme Mme Frezzolini au Théâtre-Italien, Mlle Duprez à l’Opéra-Comique, imprimer à la phrase musicale une fermeté et lui donner un horizon qui enchantent l’oreille. Si Mme Miolan possédait un peu de ce charme personnel dont Mme Damoreau était si richement douée, elle serait la meilleure cantatrice qu’ait produite l’école française. Son succès dans le rôle de