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de la France dans ce qu’il a de plus éclatant et de plus éprouvé. Éloquence politique ou religieuse, philosophie, histoire, poésie, critique, tout a droit de cité à l’Institut, pourvu que le talent s’y trouve accompagne d’une certaine dignité, et si de nos jours le rang social lui-même n’est point un titre suffisant, il ne peut être non plus assurément un motif d’exclusion. Pour conserver sa grande place, l’Académie n’a qu’à rester elle-même, c’est-à-dire un foyer où se rejoignent tous les rayons épars de l’intelligence française, un asile où se transmettent des traditions, et où l’on retrouve encore en certains jours l’image honorée de Bossuet et de Corneille.

L’Académie, même avec ce caractère collectif que lui donnent ses traditions et la nature de son institution, l’Académie reste encore un lieu très libre, qui laisse à chacun son individualité. Elle ne donne pas le savoir ou l’esprit à ceux qui ne l’ont pas ; elle est en quelque sorte le théâtre naturel de certains talens éminens et épurés qui semblent une personnification vivante de la plus rare culture littéraire. Le secrétaire perpétuel de l’Académie, M. Villemain, est assurément un de ces talens. Historien littéraire abondant et varié, critique pénétrant et fin, penseur prudent et hardi, écrivain consommé, M. Villemain réalise l’alliance d’une pensée toujours active et d’une forme accomplie. Il ne ressemble guère à ceux qui jettent négligemment leurs livres dans le monde en les abandonnant à leur sort. Avec ce respect des lettres qui est le propre des esprits élevés, il revoit sans cesse ses ouvrages, il y ajoute même, comme il vient de le faire encore en rassemblant divers essais dans ses Études d’Histoire moderne. Par une coïncidence singulière, les Études de M. Villemain ont une sorte d’intérêt d’à-propos dans les circonstances présentes : elles traitent presque toutes de la Grèce, des destinées de cette brillante et malheureuse race hellénique, qui n’a cessé de remplir l’Orient de son nom et de ses infortunes. Le tableau du xve siècle, qui ouvre le volume, qu’est-ce autre chose que le prologue de la renaissance, c’est-à-dire de la réapparition du génie grec dans le monde ? Lorsqu’en traçant l’esquisse de Lascaris, M. Villemain rassemble tous les souvenirs d’une érudition choisie dans une fiction simple et modérée, il marque l’heure où le glaive de Mahomet II, abattant l’empire de Byzance, fait refluer jusqu’en Europe tous ces exilés qui portent avec eux les traditions de la civilisation de la Grèce ancienne. Dans son essai sur la domination musulmane, il trace l’histoire des Grecs dans leur oppression jusqu’à l’heure où ils se relèvent pour reconquérir une patrie. Au milieu de ces études, Michel de L’Hôpital fait seul une figure assez étrange, quoique grande d’une autre façon. Tout le reste appartient à la Grèce. L’intérêt de ces tableaux est rendu plus sensible par quelques pages qu’on a lues ici même, et où l’auteur rattache au présent le passé si divers et si agité de la race hellénique. En publiant de nouveau ces œuvres d’autrefois et en les accompagnant d’un commentaire qui les caractérise en quelque sorte, qui ajoute les impressions d’aujourd’hui aux impressions anciennes, M. Villemain donne un exemple salutaire ; il se montre fidèle aux convictions de sa jeunesse. Il ne peut pas reconnaître qu’il s’est trompé en portant intérêt aux Grecs et à leur affranchissement. Il ne désavoue aucune de ses sympathies en présence de la défaveur qui a pesé récemment sur la Grèce. Au fond,