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à mesure qu’elle se développera. Il s’agit de construire un édifice auquel on pourra ajouter des parties et des ailes, à mesure qu’elles deviendront nécessaires. Là, je crois, est l’idée que le législateur ne devrait pas perdre de vue.

Dans ce système, la nation changerait de tête ; la seconde classe, devenant en réalité la première, ne serait plus le client devant le patron antique : elle aurait intérêt à soutenir des institutions qui l’affranchiraient de l’orgueil des grands, et comme elle possède une bonne partie du sol, elle pourrait s’attacher à la liberté naissante sans en être distraite par de trop pressans besoins ; car c’est, à ce qu’il paraît, une trop lourde charge pour des hommes d’avoir en même temps et tout ensemble à faire fortune et à fonder la liberté. Lorsque ces deux buts sont poursuivis en même temps, il est rare que le premier ne fasse pas oublier le second. Le besoin de s’enrichir est si âpre chez les nouveaux enrichis, qu’il remplace aisément tous les autres. Faire des affaires devient trop facilement pour eux l’unique but de la vie religieuse, politique et civile. Ainsi le remède naîtrait du mal. La seconde classe s’accoutumant, comme il ne peut manquer d’arriver, à des institutions auxquelles elle devrait son affranchissement de la tutèle des grands, le tiers-état ne manquerait pas de naître, de se développer rapidement avec le commerce, l’industrie, l’agriculture, à l’ombre de ces institutions nouvelles ; il entrerait dans la forme qu’il trouverait établie. En d’autres termes, au lieu d’être chargé de fonder la liberté, chose qui ne paraît pas être l’essence de sa condition, il naîtrait dans la liberté. À mesure qu’il entrerait en scène, il respirerait l’air vivifiant des droits déjà acquis. Ces droits établis avant lui deviendraient un élément nécessaire dont il ne pourrait se passer à l’avenir, et par là se trouverait évité un des écueils que l’on a rencontrés dans d’autres pays où le tiers-état, ayant grandi et s’étant développé sous le pouvoir absolu, est toujours prêt à y rentrer comme dans sa nature même.

Chimères, contradictions, impossibilités que tout cela ! s’écriera-t-on ; voilà trop de qualités nécessaires dans un peuple qui n’a pu encore les acquérir ! Un pouvoir fort qui ne se sert pas de la force pour usurper ! des grands qui ont le bon sens de céder quelque chose à la justice ! des assemblées régulières qui ne perdent pas tout en un jour pour vouloir tout gagner ! la liberté qui n’est pas le chaos ! la parole qui n’est pas le blasphème ! Où trouver ces prodiges ? Toujours la même difficulté. Pour opérer ces merveilles, il faudrait que ces merveilles fussent déjà consommées. À quoi je réponds : qu’il faut bien supposer dans le corps même de cette société un principe de renaissance, sans lequel tout système serait également impuissant. Il s’agit de mettre en lumière ce principe, non pas