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de Métastase. Né sur les Alpes qui séparent l’Italie de l’Allemagne, ému tour à tour par les traditions de la race teutonique et par les merveilleux aspects d’une nature luxuriante, M. Prati a dû peut-être à ce hasard de sa naissance l’éclat descriptif de son talent et le goût des traditions légendaires qui a inspiré quelques-uns de ses essais. Il quitta bientôt la vie familière et libre des montagnes du Tyrol pour aller suivre un cours de philosophie à Trente. De là il allait étudier la jurisprudence à l’université de Padoue, où il fut reçu avocat, et c’est là qu’il commençait à révéler son instinct littéraire par deux odes sur l’homme et la femme. C’est là aussi qu’il publiait Edmenegarda. Le succès du poème inspira à l’auteur la pensée d’un voyage en Italie. Il parcourut les diverses villes de la péninsule, accueilli et fêté partout, jouissant de sa jeune renommée, mêlant peut-être à ses courses quelques aventures romanesques, mais ne s’endormant pas dans cette première ivresse. M. Prati était déjà un écrivain, et le nom du poète n’a fait que se répandre depuis quinze ans à mesure qu’il multipliait les œuvres où se laissent apercevoir le caractère, la marche, les progrès ou les transformations de son talent. Après l’Edmenegarda paraissaient successivement les Canti lirici, les Canti per il Popolo, les Ballate. Durant un premier voyage en Piémont, M. Prati publiait deux volumes de Nuovi canti, les Memorie e Lacrime et les Lettere à Maria. De Turin, le poète allait dans le canton du Tessin, et de là il retournait encore une fois à Padoue, où il mettait au jour les Passeggiate solitarie, les promenades solitaires. C’est là ce qu’on pourrait appeler la première période de la carrière poétique de M. Prati, le premier essor de son talent.

Tout ici a un caractère de vive et brillante spontanéité. Ces Canti lirici, ces Nuovi canti, ces Memorie e Lacrime ne sont qu’une collection variée de morceaux détachés où se révèle tout entier le talent du poète, talent souple et ingénieux, harmonieux et pénétrant, essentiellement lyrique par-dessus tout, et n’ayant d’autre préoccupation que l’art, l’expression sincère et pure de l’idéal. M. Prati n’a point évidemment la force de la pensée, la puissance de l’invention, mais il a une sorte de grâce émouvante et douce, tempérée parfois d’une certaine ironie humoristique. Il aime à évoquer les souvenirs de la jeunesse, les émotions intimes du cœur, les spectacles merveilleux de la nature, thèmes ordinaires de son inspiration dans ces premiers vers. Un des genres où M. Prati a le plus excellé peut-être est le sonnet ; nul n’a mieux réussi à condenser en quelques traits rapides une impression d’attendrissement ou une pensée fugitive. Tel est le sonnet qui a pour titre un Jour d’hiver. « Toutes les fois que l’heure silencieuse du crépuscule approche, dit le poète, une calme mélancolie s’empare de moi et humecte doucement mes yeux d’une larme de douleur. — Je regarde le feu mourant, et j’éprouve un charme irrésistible à y tenir mon regard fixé tant qu’un peu de braise étincelle encore au milieu des cendres. — Le dernier pétillement de cette vie qui s’éteint, l’ombre qui s’épaissit et la neige qui tombe me serrent le cœur d’une tristesse plus sombre. — Un cri s’échappe de ma poitrine, remplie de terreur : Mon Dieu ! quel rêve que cette courte existence ! mon Dieu ! quelle solitude que cette terre ! » Mettez à côté cet autre sonnet sur l’isolement : « J’aime bien mieux la fleur solitaire que celle qui égaie le sol au milieu de mille autres. J’aime le ruisseau qui coule au milieu des champs dans un tout petit lit, et l’oiseau qui prend un vol court du rameau au rameau, qui